
On peut s’étonner d’une confusion dans la représentation de ces créatures. Chez les grecs anciens les sirènes sont représentées avec une tête , parfois aussi un buste de femme et des ailes d’oiseaux. Représentation fort éloignée de l’image populaire distillée de nos jours par les studio Disney d’une créature mi femme mi poisson et plutôt » cool ».
On peut aussi penser à la Sirène de Heinrich Heine, Lorelei, ou à la petite sirène de Copenhague.
Possible que les sirènes soient une version négative des Néréides, filles du dieu Nérée Dieu des mers antérieur à Poséidon et de sa sœur Doris. Est-ce la notion d’inceste qui les transforme selon des époques plus moralistes en créatures suspectes et hostiles ?
En Anglais on peut noter qu’il existe deux mots distincts ( siren pour la sirène antique et mermaid pour une version plus moderne remontant au moyen-age).
Hier encore à la cour du très ancien dieu de la mer ,elles chantent et dansent et en cela revêtent le rôle des Muses fort éloigné de celui des créatures hostiles dont nous parle Homère.
Les sirènes possèdent des instruments de musique, elles sont parfois 2, 3 ou 4 selon les versions des textes dans lesquels on retrouve leurs traces.
Nul n’est vraiment sur non plus de l’emplacement de ce fameux rivage sur lequel elles résident. Leur chant étant censé outre capter et ravir l’attention et la vigilance des marins, calmer les vents.Il se pourrait en examinant des traces anciennes de cultes qui leur avait été dédiés qu’on les retrouve entre Sorrente et Capri, ou bien encore quelque part du coté du détroit de Messine.
On notera aussi qu’il existe aussi d’autres créatures dans la mythologie grecque ayant un lien de parenté avec les sirènes: Les Harpies. En grec ce terme évoque l’idée de capter et de ravir, non dans une idée de séduction mais pour attirer vers une fin inéluctable. Les harpies, au nombre de 3 se nomment Obscure, Vole-vite, et Bourrasque. Elles vivent sur la côte du Péloponèse dans les iles Strophade, en Grèce. Ce sont de vieilles femmes à l’allure peu sympathique et leur présence se manifeste par une puanteur insoutenable.
Leur commanditaire est Héra la jalouse, épouse de Zeus, ce qui vaudra aux Harpies d’être aussi nommées les « chiennes de Zeus » ce qui est étonnant car Zeus n’avait pas grand chose à voir avec elles … Elles dépendaient d’Héra qui les envoyait régler ses comptes lorsqu’elle était victime d’injures.
En harcelant les âmes de façon incessante par leurs méchancetés le mot harpie fut utilisé pour désigner les femmes acariâtres
Elles symbolisent aussi une obsession de la méchanceté, du vice qui harcèlent les êtres qui ne savent contrôler leurs passions.
On se souviendra d’Ulysse qui, suite à l’avertissement de la magicienne Circé, demande à son équipage de l’attacher au mat de son navire lorsqu’il croise à quelques encablures des rivages blanchis de nombreux ossements où vivent les fameuses sirènes.
Le bon sens populaire qui aime utiliser des raccourcis percutants en a tiré l’idée d’une offre alléchante mais qui peut se retourner contre celui qui l’accepte.
Cette idée de dangerosité de la femme rappelle une image en creux , celle de la femme généreuse, la muse.
Les sirènes seraient-elles le double inquiétant des muses et quel lien de parentalité pourrait on deviner entre ces deux extrêmes?
Si l’on s’appuie sur la langue des oiseaux le mot sirène compte 6 reines et révèle la présence d’une absence pour citer l’écrivain Maurice Blanchot dans son texte « le regard d’Orphée », cette absence qui serait à l’origine du langage et qu’on ne verrait jamais comme désormais on détecte les trous noirs par les phénomènes périphériques qu’ils déclenchent. C’est lorsque l’écrivain, le peintre se dirige vers le chant imparfait des sirènes qu’Eurydice apparaît et disparaît à jamais. En Art, un texte, une peinture, une sculpture n’est pas la relation de l’événement de cette rencontre, c’est l’événement lui-même.
Dans le Médée de Sénèque on peut aussi lire :
Et quand les terribles créatures charmèrent de leur voix harmonieuse la mer d’Ausonie, le Thrace Orphée chanta sur la lyre de Piérie et peu s’en fallut qu’il ne força la Sirène qui retient d’ordinaire les vaisseaux par son chant à suivre celui-là. »
Sénèque, Médée, 335-360.
Ulysse n’était pas un artiste mais un guerrier. Par la ruse et la volonté il désirait percer le secret des sirènes mais ce fut en vain car elles se jetèrent du haut des falaises pour sombrer à jamais dans la mer. Il ne nous reste que le texte homérique comme vestige de l’aventure de l’homme qui exacerbant sa raison à l’ultime participe à la naissance d’un monde dans lequel Eurydice et les sirènes ne chantent plus.
La psychanalyse voudrait réduire ce passage d’Homère à la naissance de l’identité de la personnalité d’Ulysse, on se souviendra qu’il se nomme « Personne » dans un récit précédent lorsqu’il se présente à Polyphème le Cyclope… Pourquoi pas ? mais est-ce suffisant ? n’est-ce pas un peu trop raisonnable encore ? voir malin voir rusé voir masculin et indicateur d’une perversion ( la version du père en l’occurrence Freud).
Ce n’est pas parce que personne ne les écoute qu’elles ne chantent plus, c’est seulement parce justement l’incohérence qui constitue leur sève manque de silence pour que nous puissions distinguer les notes de leurs mélopées. Les sirènes sont toujours là inaudibles à nos oreilles de consommateurs dans notre hâte d’assouvir nos pulsions et désirs le plus rapidement possible sans beaucoup de préliminaires.
Il manque toute une approche sensuelle autant que spirituelle proche du tantrisme pour renouer avec ce féminin qu’elles représentent dans ce qu’il peut révéler d’obscur et de lumineux tant chez la femme que chez l’homme.
Il faudrait un nouvel écrivain, un artiste qui montrerait le chemin sans mat ni lien, sans raison ni ruse pour nous extirper du rêve de la consommation vers la certitude d’être et ce faisant proposer à l’humanité une nouvelle Odyssée.
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