Le non faire

Le double secret détail René Magritte

Un matin il s’aperçut clairement qu’il était à côté de la plaque. Ce n’était pas sa vie, il marchait à son côté séparé d’elle par la haie que formait la mémoire. Il tentait de temps en temps de traverser celle ci bien sur mais s’écorchait la peau. Alors il eut une idée simple, parfois il faut du temps et ce jour là il fut prêt, il le sentait, c’était maintenant ou jamais.

Le premier pas qu’il effectua en arrière fut un peu maladroit, la peur de chûter était toujours présente. Au second, il commença à prendre un peu d’assurance, mais ce ne fut vraiment qu’à partir du 5eme qu’il atteint enfin la bonne vitesse de croisière.

Il avança si l’on peut dire ainsi à reculons depuis le frigo jusqu’à la fenêtre comme il le faisait normalement chaque matin pour ouvrir le volet roulant de celle ci. Il lança alors la main droite pour appuyer sur le commutateur puis la retint et envoya à sa place la main gauche en exploration tout en fermant l’œil droit. Ainsi donc il pouvait avoir un pouvoir de modifier l’habitude, cette habitude même dans laquelle il s’était confortablement installé depuis des années.

Cette première journée il ne fit rien comme d’habitude justement, c’était une journée test.

Il dit bonsoir au lieu de bonjour, il demanda à la boulangère une miche au lieu d’une baguette, il prit le bus plutôt que le métro et arrivé devant la grande bibliothèque, il bifurqua soudain pour se rendre au bistrot. Il commanda un scotch sans glace et le bu d’un trait puis attrapa le journal qui traînait sur le comptoir et commença à le lire à partir de la dernière page, c’était du sport et il se disait qu’il détestait le sport , mais justement, pourquoi donc détestait il le sport après tout ? et il s’enquit auprès de son voisin d’un pronostic éventuel sur le match qui allait opposer l’Allemagne à la France dans la soirée.

Il fut étonné d’entendre une réponse mais ne la pris pas en compte, il misa un gros billet sur le contraire de ce qui lui avait été dit. Il perdit bien sur son argent et au lieu de se désespérer il se rendit chez un traiteur de luxe pour acheter des huîtres et du champagne, racola un sdf dans la rue qu’il invita à partager son magnifique repas.

Son manège dura ainsi quelques jours et cela allait devenir une nouvelle routine assez vite il le sentait quand il se toucha le menton et sentit une barbe drue pointer sous la pulpe de ses doigts.

Installé devant la glace il empoigna la bombe de mousse à raser et levant les yeux vers son reflet dans la glace il sursauta car devant lui désormais se tenait un inconnu.