Le mystère du trait de Matisse

C’est en regardant à nouveau toutes les images des dessins que j’ai photographiées il y a peu de mon ami le poète peintre Thierry Lambert que me revient une petite expérience vécue il y a quelques années avec un élève de l’atelier.

Celui ci s’était confronté à la copie d’un dessin d’Henri Matisse et malgré mes conseils sur l’attention à porter sur l’intelligence du trait de ce dernier, rien ne tenait debout.

Il y a une apparente simplicité dans les dessins de Matisse que je retrouve dans ceux que j’ai photographiés. Mais justement on peut s’y laisser prendre et les décréter faciles alors qu’il n’en est rien.

L’observation est la qualité principale du dessinateur et, de celle-ci une autre en découle tout aussi importante qui est l’esprit de synthèse. L’œil analyse, l’esprit simplifie par le geste assuré et ce geste pour aboutir à la fluidité demande des années et un travail acharné, ou tout du moins régulier. Je ne suis pas loin de penser quand je vois mon ami que le geste aiguise l’intelligence tout simplement et que ce n’est que dans ce sens que l’art surgit.

Le talent dans le fond ne tiendrait qu’à ces deux qualités pour la démarche plastique que l’artiste effectue dans le dessin.

En revanche en peinture, le trait de Matisse disparaît presque totalement. Il ne resurgit que chichement pour rehausser parfois une ombre un contour, mais la peinture semble avoir gommé toute velléité d’affirmation par le trait.

C’est sans doute un passage obligé encore que celui de s’acharner durant des années à réaliser le désir de maîtrise et puis l’abandonner parce qu’on comprend qu’il n’était qu’échafaudage finalement, que l’essence ne se situe pas là.

Dans le fond le paradoxe qui me touche souvent quand je reprends les bouquins de Matisse c’est la science et l’innocence qui se mélangent en effleurant le maladroit sans jamais y parvenir vraiment.

C’est que d’accepter le maladroit totalement est encore une étape et il me semble que d’en prendre conscience, d’assumer la maladresse, par une alchimie mystérieuse, la fait disparaître.

Cela demande plus que du travail, de l’acharnement et de la régularité, c’est une sorte de saut quantique que l’être effectue pour relier tous les paradoxes dans l’athanor de l’instant.

J’entends le son du stylo noir sur le papier blanc, c’est un son continu sans hésitation, et sans pause, la main qui le tient ne se soucie ni d’adresse ni de maladresse, c’est une main confiante en elle-même sans peur, sans espoir, sans attente, c’est la main d’un grand artiste dont je regarde les images et qui m’inspirent à la célébrer.