C’est en voyant passer un mail de mon copain Roger, qui m’informe d’un nouveau stage dont le sujet est « peindre la musique » que je me suis demandé si je n’allais pas écrire là dessus aujourd’hui.
Aujourd’hui, dernier jour de l’année 2019, où j’écarte délibérément l’idée de désastre avec laquelle je vis ces derniers jours. Je m’étais réveillé avec ce sale gout dans la bouche que tu dois certainement connaitre toi aussi et je ne sais pourquoi j’ai tout de suite songé que le monde courrait à sa perte définitive, qu’il n’y avait aucune pièce à y remettre.
Et puis à surgit d’outre tombe le bon ami La Bruyère pour qui j’ai un faible et une petite phrase m’est revenue :
« Les hommes ne se goûtent qu’à peine les uns les autres, n’ont qu’une faible pente à s’approuver réciproquement : action, conduite, pensée, expression, rien ne plait, rien ne contente.»
Et je me suis dit que cette phrase je n’avais nul besoin des autres pour la savourer égoïstement, elle fonctionne extrêmement bien de moi à moi en boucle, comme ces petits morceaux de musique d’une ou deux portée en tache de fond qu’on nomme « loop ».
Ce matin mon loop c’est du La Bruyère, c’est pas pour rien que c’est jour de fête.
Et puis cela convient bien, « esthétiquement » au contexte de cette matinée morose, dont pourquoi pas en profiter.
Le mot désastre provient de l’Italien « disastro » que l’on peut traduire à peu près par « mauvaise étoile ». Mais bon cela indiquerait une part de malchance en pendant à une autre qui aurait pu être la bonne fortune. C’est encore pénétrer dans la binarité rassurante qui permet à l’esprit de ronronner à nouveau.
Je préfère citer Mallarmé, quoi de mieux que les poètes quand on a perdu le gout de l’eau et que l’on n’a pas très bien les yeux en face des trous.
Jadis tu détachas les grands calices pour La terre jeune encore et vierge de désastres,…
Vierge de désastres… le dépucelage aura porté ses fruits empoisonnés depuis.
Et puis de fil en aiguille, le ras le bol de la pensée à nouveau s’est emparé de ma cervelle et je me suis réfugié alors dans cette proposition de « peindre la musique ».
Bien sur je n’irais pas à ce stage. Je n’ai absolument aucune envie de côtoyer qui que ce soit en ce moment. Et même si c’est programmé pour l’année prochaine et qu’à la date prévue je risque d’être dans de meilleures dispositions, je préfère renoncer d’emblée et rester sur l’idée seule, sur cette énigme que cela pourrait représenter de peindre la musique.
En plus je perds l’ouïe et ne cesse de faire répéter leurs phrases aux gens. La flemme associée à la détestable sensation de handicap m’ont plusieurs fois permis de renoncer à me rendre chez un spécialiste.
Il y a quelque chose de l’ordre de la fatalité qui m’attire certainement dans tous les renoncements à vivre une vie « meilleure ».
Malgré tout nul n’est besoin d’entendre pour apprécier la musique, et surtout c’est très favorable pour pénétrer pleinement le silence entre les notes car sans lui, ce ne serait que de la cacophonie bien sur.
Un peu comme si on étalait sur une toile des litres de peinture, de couleurs épaisses sans rien laisser au vide, sans rien laisser au silence.
On aurait alors une jolie manifestation de la cacophonie en peinture, avec à la clef une sensation d’étouffement, d’oppression.
Il faudrait laisser la part belle au silence de la toile, à la respiration des gris doux et seulement placer un air de flûte japonaise qui traverserait l’espace de la toile révélant une présence discrète d’un « quelque chose » au beau milieu de tout ce « rien ».
Et puis au bout du compte je crois que j’ai eu envie d’un café, je suis descendu à l’atelier et j’ai tourné en rond sans parvenir à m’abandonner.