
La cave est vide désormais,
le seul nectar qui reste est la douleur.
Cependant je n’ai plus de larmes
pour étancher la brûlure du regard
posé sur la vitre embuée de la cuisine
et la plaie béante de mon cœur.
Sais tu que le malheur aussi est une ivresse ?
Tandis que la soupe doucement mijote
la plante de mon pied sur le carrelage froid
contacte muette la profondeur de goufre
où gisent les oublis.
Et je revois la mère et je revois le père
et j’entretiens la flamme
la cuillère en bois plongée
comme un poignard
dans ce potage trouble
dans le liquide épais.
Pour le repas du soir
j’ai jeté dans la casserole
les épluchures et tout le gras
raclé sur l’étale désormais propre
le dur billot des pauvretés.
Demain il n’y aura plus rien
Seulement l’absence
aussi vivace
Que l’air et le chagrin
Et je remplirai encore la coupe
je la remplirai de malheur
la seule denrée que nul ne pourra me voler
par ce temps de loups et de crocs.
Alors à nouveau je connaîtrai l’ivresse
Et au son des tambours cordiaux
je reverrai les roses des premiers instants
s’épanouir sous mes yeux
Comme aux tous premiers jours
où je ne savais rien
des vraies joies, des vrais chagrins
Quand le malheur sera vide lui aussi
Quand je serai saoul
Mon âme s’envolera
Il ne restera de moi sur le carrelage froid
qu’une robe à deux sous
un sourire suspendu
accroché à la corde à linge
près d’un vieux collant.