Souple ou rigide ?

Une chose très importante dont j’ai envie de te parler c’est de mes petits carnets, et du soin que j’ai longtemps apporté justement au choix de leur apparence.

Le tout premier carnet que j’ai acheté, c’était un Clairefontaine couverture rigide avec une reliure en tissus. La couleur verte et le ruban de tissu noir, et à l’intérieur des petits carreaux. Ce tout premier achat lorsque j’y repense est sans raison particulière. Je veux parler du choix de l’objet. Je suis entré dans une librairie, j’ai regardé ce qu’ils avaient en rayon, celui là a attiré mon attention et hop je l’ai acheté, rien de plus simple que cela.

J’ai mis des mois à le remplir.

Mais je vais t’épargner mes débuts dans la rédaction de chroniques.

Enfin, un jour, de longs mois après ce premier achat, j’ai vu le bout. Dernière page.

Du coup comme j’étais devenu addicted à la rédaction quotidienne sur ce petit carnet, comme je m’étais aperçu aussi à quel point je me sentais mieux une fois que j’avais noirci quelques pages le matin. Je ne pouvais pas imaginer me détacher de cette habitude. Je suis donc parti en quête le jour même du même modèle.

Le problème c’est que ce modèle exactement, avec la couverture rigide, ne se trouvait plus. Il en existait de semblables mais avec couverture souple.

Et ce petit détail insignifiant en apparence a pesé énormément sur l’importance que j’ai désormais conféré à ce second carnet.

Il n’était pas aussi « sérieux » que le premier. Si le premier pouvait me faire penser à une sorte de petit livre de par la solidité de sa couverture le second me faisait penser seulement à un outil de prise de notes.

Et du coup toute l’écriture de ce second carnet s’est modifiée en conséquence de cette perception nouvelle.

Je me suis mis à prendre des notes entre des bribes de chroniques, entre des poèmes, des récits de fiction embryonnaires. Ce second carnet à qui je n’attribuais plus qu’une fonction secondaire par rapport au souvenir que m’avait laissé le premier, cependant fut bien plus riche, et m’aida à développer mon rapport à l’écrit sous bien des angles divers parce que je l’avais vidé de sa fonction de livre, de lieu ou écrire une sorte de roman autobiographique.

Dès lors j’ai réitéré l’opération à la fin de chaque carnet. Clairefontaine, couleur verte , meme format memes reliure en tissus noir et petits carreaux.

je crois que j’ai du en remplir une vingtaine au cours des 10 années qui ont suivi.

Et puis un jour ma compagne de l’époque m’ayant entraîné dans une réflexion inédite portant sur mon égocentrisme, je me suis mis à chercher des coupables, des responsables à cet état de fait, comme on le fait toujours dans ce genre d’occasion.

Mon regard s’est porté sur les étagères et j’ai vu toute la collection de carnets identiques alignée. C’était mon trésor, la seule chose qui avait vraiment importé dans ma vie au cours des 10 dernières années. Et dont je n’ai tiré aucun profit sinon celui de ne pas sombrer dans la folie en étant au contact de ce monde imbécile, le monde de l’entreprise dans lequel je me rendais pour gagner ma vie comme on dit.

D’un coup j’ai senti qu’une sorte de choix important, comme il en arrive parfois dans l’existence s’offrait à mon discernement.

Soit j’arrêtais d’écrire et je pénetrais de plein pied dans ce que je considérais comme la pure folie et ce par amour de ma compagne qui ne supportait plus disait elle mon enfermement, mon isolement.

Soit je changeais de compagne.

J’ai toujours éprouvé des difficultés folles à faire des choix. Tous sont aussi légitimes les uns les autres et je ne me suis jamais illusionné sur le fait que certains puissent etre totalement bons comme d’autres totalement mauvais.

Alors comme d’habitude j’ai exploré une voie médiane en me rendant tout de suite au extremes.

Un weekend nous sommes parti en camping car dans notre coin habituel, c’était une chouette journée du mois de mai, peut etre en juin finalement, je ne sais plus vraiment… j’ai fait un beau feu et comme j’avais apporté tout les carnets je les ai jetés dedans. Oh c’était un moment très bizarre, pendant qu’ils brûlaient nous étions enlacés ma compagne et moi en les regardant ainsi disparaître. Je la sentais soulagée et j’essayais de l’être aussi du moins de m’en convaincre par de profondes respirations- nous étions branchés New Age, méditation et tout le tutti…Et puis le lendemain matin, tout cela n’était plus qu’un petit tas de cendres dérisoires.

Je crois que j’ai commencé à la tromper peu de temps après.

Avec une grosse fille pas très jolie mais sympa dont la fréquentation me réconforta de cette gigantesque fissure que je sentais peu à peu s’ouvrir en moi. Le sexe dans lequel nous plongeâmes semblait être la suite logique de toute cette opération incandescente. En arrêtant d’écrire je me suis mis à baiser comme un dératé.

Evidemment la rupture arriva, je rejoignais Paris plus désespéré que jamais pensant etre le dernier des connards le derniers des salauds un raté magistral.

Je trouvais une chambre d’hôtel, un boulot de merde pour payer le loyer et comme je ne voulais plus écrire une seule de toutes ces maudites lignes , j’achetais des couleurs et me mis à peindre.

Ce n’est que bien des années plus tard que j’ai osé me permettre à nouveau peu à peu d’écrire , tout simplement parce que comme autrefois, une fois que j’ai écrit quelques lignes, quelques pages j’ai l’impression de me sentir mieux, de me sentir bien et que ma foi n’importe quoi ou à peu près peu arriver dans la journée ensuite, je me sens prêt à l’affronter avec souplesse. Il faut beaucoup de souplesse pour enseigner le dessin et la peinture, c’est mon métier à présent, et si j’écris toujours ce n’est juste qu’un hobby, un moment de détente, je n’y accorde pas plus d’importance que cela.