Tout phénomène est le résultat d’une intention première qui produit une action. La difficulté réside alors de comprendre la chaîne de conséquences innombrables qu’entraîne cette action dans le temps. Si l’on ne s’arrête qu’au résultat, à ce cliché, cet instantané perçu dans une durée qui nous dépasse et qu’on se mêle de vouloir en produire une opinion, un avis, nous restons sur un plan superficiel.
Désormais cette superficialité semble avoir envahi le monde. Comme un masque derrière lequel se tient le visage d’une intention que nous ne sommes plus en mesure de comprendre. Nous supputons, élaborons des théories par de nombreuses voies. Mathématique, physique, philosophie, spiritualité s’entremêlent de plus en plus fréquemment pour tenter de créer un nouveau paradigme, un sens au monde.
L’insensé s’en trouve étrangement renforcé d’autant qu’on tente de l’éradiquer en voulant à tout prix trouver du sens à tout.
Nous avons le temps de pouvoir réfléchir. Bien plus de temps que nos ancêtres, que nos parents dont la préoccupation principale était de vivre ainsi qu’on leur avait enseigné à le faire. Vivre c’était travailler, élever les enfants, faire la guerre, se rendre à la messe, se confesser et tous les jours recommencer à s’enfouir dans l’oubli ainsi.
Les formes semblent avoir changé, nous pensons avoir plus de temps pour le loisir, pour nous former à de nouvelles connaissances, nous avons le pouvoir de consommer des objets de désirs inédits comme de pouvoir en changer autant que bon nous semble. Et surtout les sondages nous font croire que nous sommes capable de posséder une opinion importante et sur tous les sujets.
Une forme inédite de l’oubli est en place, remplaçant l’ancienne, presque méconnaissable au premier regard.
Nos intentions premières sont désormais remplacées par des prétentions.
D’ailleurs j’imagine que ce n’est pas pour rien que lors d’une entretien d’embauche, la belle et énigmatique DRH qui se tenait de l’autre coté du bureau me posa cette question embarrassante à souhait
« Et quelles sont vos prétentions ? »
Il me fallu quelques secondes avant de pouvoir formuler une réponse vaseuse car de toute évidence l’intention du moment n’avait plus rien à voir avec le fait que je me retrouve ici face à elle. Dans mon esprit les pensées et les images se chevauchaient comme des bêtes énervées d’être tenues enfermées dans un haras.
Je me mis à bredouiller des niaiseries comme « j’ai de l’expérience dans ce genre de poste, j’ai fait mes preuves, je peux développer le secteur mieux que tout autre… » bref des conneries magistrales alors que l’intention vraie celle que j’aurais du dire tout de go était que je la trouvais belle et désirable, que j’aurais aimé ne plus jamais la quitter et explorer son corps dans les moindres interstices.
J’aurais été en bien meilleure adéquation avec moi-même si je lui avait dit :
-vous épouser . Même si cela eut été encore une sorte de politesse, un faux fuyant.
Cela m’emmène doucement à repenser à ce mélange, à cette confusion entre les intentions et les prétentions qui nous traversent.
Une forme d’irrespect ou d’ignorance, ça va souvent ensemble avec l’oubli de l’impulsion qui nourrit notre mouvement qui en est à la fois la source et le but en soi dans une simultanéité telle que pour la saisir il nous faut réinventer le temps lui même.
La prétention ultime se serait de se rappeler tout haut qui on est vraiment ontologiquement et donc refuser le jeu de la vie, ce jeu dont nous ne sommes pas censés savoir qu’il s’agit d’un jeu. Car non seulement ça ne sert à rien mais en plus d’être un mauvais joueur on invite sur soi les foudres du destin et on ne peut manquer de passer de bien fichus quarts d’heure.