La patience

Au début j’avais un mal de chien à soutenir son regard. Elle semblait tout voir d’un coup en moi. Je me l’imaginais ainsi. Surnaturelle. Et puis peu à peu, je ne sais comment, surement pas par courage, je pus enfin la regarder bien en face sans trop cligner des yeux.

Aussitôt qu’elle apparue dans la pièce j’eus cette sensation d’être en présence d’une sorte de monstre. Elle était semblable à toutes les femmes où plutôt presque semblable à elles.

C’est dans ce « presque » que l’angoisse tissait son récit, seconde après seconde.

Tout à fait le genre de femme dont je rêvais à cet instant où je revins en France, cette année là. Une à ma hauteur, voire même plus si possible avais je demandé en joignant les pieds, allongé sur le canapé de Lara au fin fond de l’impasse vers laquelle mes pas me portaient à la fin de chaque errance.

Et puis soudain par une série de péripéties et de circonstances je m’étais rendu au bout de Paris, j’avais traversé la ville pour me rendre à l’adresse indiquée, j’avais poussé la lourde porte donnant sur une cour et les ateliers d’artiste. Elle m’attendait et ouvrit la porte presque aussitôt que j’eus frappé à sa porte.

Ce qui me permit de m’en sortir- j’ai cette croyance perpétuelle de tomber dans des pièges ou des épreuves et qu’il faille à tout prix  » s’en sortir »- c’est que je la perçue immédiatement comme une gamine. Au delà de la femme mure et désirable, sans doute pour ne pas m’avouer mon désir de la basculer sur le plan de travail et de la trousser presque aussitôt que je la vis.

Une sauvageonne. Surement pas une gamine sage. Malgré tout ce qu’elle pu déployer comme artifices de gentillesse et de bienveillance à mon égard. La cruauté naturelle à peine voilée par la douceur de son regard me perturba immédiatement autant qu’elle m’attira évidemment. A cette époque j’adorais les énigmes et m’imaginais encore bien naïvement que je pouvais quasi toutes les résoudre.

Et puis j’avais aussi besoin de ce travail, de cet argent pour repartir le plus vite possible. Devenir écrivain nécessitait ce genre d’investissement je m’étais dit ça clairement. Vivre des tas d’histoires, risquer sa peau, souffrir et aimer … Comme je me disais que ne n’avais pas d’imagination, je me mettais en scène dans des aventures de la vie de tous les jours que j’enrobais de sucreries et d’épices concoctant ainsi une cuisine assez peu comestible par n’importe qui d’autre que moi-même. Evidemment.

J’étais aussi très impatient. Quand l’immédiateté n’était pas au rendez vous je me bouffais la rate ni plus ni moins.

C’est dire à quel point je ne pouvais échapper à cette aventure de connaitre un jour cette femme qui au bout du compte des années plus tard incarne tout ce que je n’avais pas et désirais plus que tout sans le savoir : la patience.