La réflexion en peinture

Est-il nécessaire de réfléchir pour peindre ? C’est une question qui me préoccupe depuis longtemps et je désire faire le point sur le sujet aujourd’hui.

Pour résumer il y a deux écoles actuellement.

Les uns parlent d’abandonner le mental, la pensée et ainsi de pénétrer dans une peinture intuitive sans se préoccuper particulièrement d’un sujet.

Les autres semblent partisans d’un processus, d’une démarche à effectuer en amont de tout geste pictural. Choisir un thème, le développer que ce soit la réalisation de visages, de natures mortes, de paysages par exemple.

De mon coté en tant que professeur je ne peux privilégier aucune de ces deux écoles. Elles sont toutes deux intéressantes par ce qu’elles apporteraient aux élèves.

Dans le premier cas où il est question de lâcher prise notamment à toute idée de jugement et de s’appuyer sur la gestuelle, le mouvement, l’intuition de l’instant on ne peut cependant nier le but de réaliser un tableau qui puisse « tenir debout ». Une tableau montrable même s’il s’agit alors d’un cercle aussi restreint que celui de ses proches, de sa famille ou ses amis.

Dans ce cas il suffirait de barbouiller n’importe quoi et de décréter qu’il s’agit d’une œuvre d’art. Cela peut suffire dans une certaine mesure à satisfaire le peintre qui fonctionne de cette manière temporairement. Car comment mesurer une évolution quelconque de cette façon ? N’est t’on pas condamné à accepter le tout venant comme manifestation d’une présence parfaite ? Peut on accepter sans broncher cette idée de perfection sans la remettre en question ? J’en doute.

Car il y a en chacun de nous la nécessité d’aller plus loin, de découvrir autre chose que ce soit par la peinture ou dans d’autres domaines nous ne nous satisfaisons que rarement d’un état si parfait apparaisse t’il d’emblée.

Dans le domaine de la peinture gestuelle on tentera alors de parfaire le geste, de le rendre plus fluide, plus simple probablement et donc il y a bien à un moment ou à un autre une intervention de ce fameux jugement que le peintre porte sur son travail.

Il y a toujours des buts même lorsqu’on imagine ne pas en chercher.

La voie de la peinture de sujet est plus ingrate car on se pose dans une situation souvent contraire à celle du peintre intuitif.

Au début je ne sais rien du tout de la façon de dessiner un visage, une nature morte, un paysage et je m’entraine à réaliser ces choses peu à peu en commettant des erreurs que je corrige au fur et à mesure que mon œil s’aiguise, que j’acquiers de l’expérience, des réussites et des échecs et que je me rends compte de ma progression.

Le but peut être alors la ressemblance. Le jugement se base alors sur une distance qui sépare l’ouvrage de son modèle.

Il y a donc toujours une raison pour laquelle on peint et ce quelque soit les deux chemins que je viens de décrire.

La raison du premier chemin que je viens d’énoncer me semble cependant floue, plus confuse que la seconde.

Elle pourrait être une facilité puisque il n’est pas nécessaire de savoir dessiner, ni d’avoir étudié les lois de la composition, ni même celles de la couleur.

Ainsi le peintre ferait il abstraction totalement d’un apprentissage pour se jeter sur son support. L’enjeu serait d’avoir suffisamment confiance en lui afin de compenser ce manque de connaissances dont en général chacun est parfaitement conscient.

C’est renoncer dans une certaine mesure à la tradition, à un savoir accumulé par des générations de peintres pour imposer une vision personnelle de la peinture. Le résultat peut tout aussi bien être considéré comme génial que complètement farfelu pour ne pas dire cinglé.

La notion de confort ne peut exister pour le peintre qui pratique ainsi à moins d’être victime d’un égocentrisme épouvantable ou d’une foi incommensurable en son propre génie Ce qui revient à peu de chose près au même.

Au bout du compte ce que j’imaginais comme étant une facilité me permettant de sauter allègrement les étapes d’un apprentissage, m’en impose un nouveau, inédit qui se résume à celui de l’humilité.

Dans une autre équation, plus proche de celle que j’aurais à résoudre, il y a le peintre qui sait dessiner, qui sait peindre mais qui est victime d’une lassitude et qui chercherait dans la peinture intuitive ou abstraite à se renouveler.

A cet instant il serait également question d’un oubli mais le but serait alors différent.

« La culture c’est ce qui reste lorsqu’on a tout oublié ».

Chercher ainsi par l’abstraction à ôter le superflu, l’inutile, l’anecdotique, toutes ces fioritures dans le fond qui fait dire au grand public « c’est beau » « c’est magnifique » par exemple. Et au contraire provoquer des émotions nouvelles quitte même à ce que celles ci provoquent un rejet une répulsion pourquoi pas.

Ce que je retiens de cette analyse entre peinture intuitive et peinture réfléchie, l’enjeu principal pour moi actuellement c’est peut-être un positionnement juste à définir entre orgueil et humilité qui sont à mon avis les sources majeures dont découlent le choix d’un style.

Si on entreprend de s’engager dans le premier chemin motivé par des soucis d’originalité où de vouloir à tout prix s’exprimer quelque soit la manière il y a des chances pour que l’on soit poussé par l’orgueil ou par l’inconscience. Et dans ce cas l’évolution incontournable du peintre sera d’acquérir suffisamment d’humilité de modestie afin de comprendre ce qui l’entrave dans son geste, dans la fluidité de son geste ou dans l’harmonie des couleurs qu’il déposera sur le support. Dans un sens il sera obligé plus ou moins de réinventer la peinture par une palette plus restreinte, par l’utilisation d’outils moins nombreux mais qu’il aura fait siens. Il ne sera pas le même à l’arrivée qu’au départ parce que son travail même de façon intuitive l’aura profondément modifié et l’aura entrainé à réfléchir à un moment donné sur sa pratique.

Si l’on emprunte l’autre chemin celui de l’apprentissage classique les résultats seront longs à atteindre mais le peintre n’aura pas à se soucier de ce sentiment d’imposture. Il sait par avance que peindre correctement demande du temps et de l’investissement en temps et en travail. Lui partira sans doute il faut l’espérer d’un sentiment de modestie, voire de manque de confiance en lui qu’il finira par acquérir avec le temps.

Au bout du compte ces deux chemins mènent plus ou moins au même résultat final qui est de cesser de tricher avec soi-même et d’entretenir une relation plus intime plus juste avec le support, avec la toile, avec le monde.