La pesée du cœur

Nuit agitée, début de matinée vaseuse. Cela t’arrive peut-être aussi et tu sais qu’il faut bien faire avec. Mais est ce que tu t’intéresses au pourquoi ? Pourquoi ta nuit est agitée et du coup pourquoi le lendemain tu n’as pas les yeux tout à fait en face des trous ? Les raisons peuvent être nombreuses, de la plus simple à la plus complexe. Peut-être même un ensemble de raisons simples et complexes. Et souvent on n’analyse pas tout ça, on ne prend pas le temps de le faire. Pour des raisons professionnelles par exemple, tu t’es levé à la bourre et tu as à peine le temps de prendre une douche et d’avaler un café que tu te retrouves dans ta bagnole, dans le train, dans le métro et pour finir devant tes dossiers au bureau. Ou devant tes élèves si tu es prof comme moi.

Du coup comme ce genre d’incident se développe en série, il y a gros à parier que le lendemain et les jours suivants tu te retrouves de plus en plus crevé et déprimé.

On peut penser que ce sont les soucis qui provoquent cela. C’est vrai en partie. Les soucis sont dans la tête et nous ne sommes pas que des têtes, heureusement.

Cela peut provenir d’un excès de nourriture au repas du soir, d’un comportement trop sédentaire, qui fait que les deux conjugués tu t’es mis au lit trop tôt alors que tu es encore bourré d’énergie.

Cela m’arrivait assez souvent et je n’arrivais pas à comprendre le problème jusqu’à ce que je lise des articles sur la nutrition. Depuis je mange plus léger le soir , le nombre de mes nuits sans agitation a largement augmenté.

Du coup je me suis dit qu’il pouvait y avoir un certain comportement à adopter envers chacune de ces difficultés qui entravent le sommeil. Le premier point est d’abord évidemment de réfléchir sur son propre mode de vie et de comprendre ce qui ne fonctionne pas.

Manger trop gras le soir ne fonctionne pas

Regarder des vidéos sur un smartphone au lit ne fonctionne pas

Ruminer les mêmes problèmes chaque soir en se couchant ne fonctionne pas.

S’énerver en raison de cette masse de soucis qui n’arrêtent pas de tourner dans la tête ne fonctionne pas.

Du coup j’ai adopté des stratégies en fonction de cet objectif qui était de passer de bonnes nuits de sommeil afin d’être en forme le lendemain.

J’ai répété ces stratégies plusieurs semaines et je dois dire qu’en créant ces nouvelles habitudes mon pourcentage de bonnes nuits a largement augmenté.

En revanche je me suis aperçu que je menais une vie constituée de routines bien établies comme j’avais remarqué que le faisaient mes grands parents. Je comprenais pourquoi ils faisaient attention à ce qu’ils mangeaient le soir, pourquoi ils se couchaient à 22 heures tapantes. C’était pour durer le plus longtemps possible je crois bien. Durer pour faire quoi au final, rien d’autre que ces routines journalières qu’ils avaient mises en place.

Ils n’avaient pas d’autres objectifs que celui de rester en vie le plus longtemps possible.

Par la suite j’ai examiné aussi la vie de mes parents, et des gens que j’avais pu connaitre tout au long de ma vie et je me suis aperçu que le principal objectif de toutes ces personnes en appliquant ce genre de stratégie, la régularité des routines, était le même.

Rester le plus longtemps en vie même si leur vie la plupart du temps ainsi était à mon regard d’une fadeur insupportable.

J’ai alors eu des doutes terribles me concernant et presque en même temps un sentiment de culpabilité énorme.

Qui donc étais je moi pour oser critiquer le mode de vie de la plupart des gens autour de moi, pour le remettre en question juste parce que je n’arrivais pas à pénétrer dedans, à en bien saisir l’intérêt et les raisons ?

Et comment est ce que je vivais ? J’allais dans tous les sens, je me fichais de tout, de ce que je mangeais, comment et où je dormais, je ne voulais surtout pas entrer dans le genre de routine qui me renvoyait cette image d’ennui et de résignation que j’apercevais chez mes proches.

La curiosité, l’envie de vivre, de découvrir le monde sous ses aspects inconnus, la séduction de l’inconnu, tout cela m’agitait perpétuellement au plus haut point. En fait j’étais d’une avidité extraordinaire parce que l’idée de la mort me terrifiait toujours en tâche de fond.

Je ne pouvais me résoudre que j’allais bel et bien disparaitre un jour comme tout le monde.

Je me sentais perpétuellement comme un rat, un oiseau en cage sans possibilité d’évasion que d’user de ma curiosité, de l’évasion sous toutes ses formes pour me distraire de cette vérité insoutenable.

Evidemment je ne me suis pas rendu compte de toutes ces choses aussi clairement que je peux les écrire aujourd’hui. J’étais dans une confusion perpétuelle. Et au bout de n’importe quel délire, n’importe quel mouvement, n’importe quel but que je me proposais je tombais toujours sur une sorte de mur, une sorte de mur comme en parle le physicien Planck… quelque chose qu’on ne peut pas dépasser.

N’importe quelle route que j’empruntais alors ne menait qu’à ce constat de blocage, et ce quelque soient les efforts que je pouvais déployer, malgré les prières que j’adressais aux dieux, malgré toutes les bonnes résolutions que j’inventais. Nada, toujours le même mur contre lequel tôt ou tard je butais: Et peu à peu la certitude se fit jour que tout absolument tout avait une fin. Pour finir évidemment sur une méditation concernant ma propre fin.

Il en résultait le gout amer de « l’à quoi bon » et je me retrouvais paralysé de longs jours et surtout de longues nuits.

Je ne savais pas comment les gens pouvaient bien faire avec ce mur, avec cet à quoi bon, avec la certitude que nous allions tous mourir un jour.

Et puis le temps fait bien les choses et on s’aperçoit peu à peu que la peur de la mort est liée à notre propre idée d’importance. Moins nous avons sincèrement ce sentiment d’importance, moins tragique apparait cette idée de disparaitre.

Je crois que Kundéra dans son roman « l’insupportable légèreté de l’être » parle de ce sentiment d’importance. Plus nous sommes devenus nombreux sur le Terre, des milliards désormais, moins le poids que nous ressentons de nous mêmes plus ou moins consciemment s’est allégé dans notre esprit.

Sans doute est ce pour cela d’ailleurs que nous traversons désormais cette époque de selfies et d’auto célébration via les réseaux sociaux. Nous nous débattons avec cette idée d’importance qui s’amenuise au fur et à mesure que la population mondiale augmente.

Au fond nous le sentons tous, notre importance se racornie comme une peau de chagrin.

Nous tentons de pousser les machines en sens inverse comme le capitaine du Titanic a du le faire en apercevant au dernier moment l’immense Iceberg qui allait le percuter. En vain naturellement on connait la suite de l’histoire.

Que faire ensuite une fois qu’on est assuré de la fin une bonne fois pour toutes ? On peut évidemment s’accrocher à des croyances, à une religion, à un Dieu pour espérer continuer de vivre dans l’Au delà. Imaginer un Paradis ou un enfer.

Bon. J’avoue aujourd’hui que je suis revenu de tout ça aussi. Je trouve que ce serait assez lâche de continuer de croire à une fiction, une fois qu’on a décidé cet sorte d’élan vers le pire. Parce que le pire apporte quelque chose de juste c’est cette confrontation de soi avec le néant. Pourquoi finalement moi j’aurais peur du néant ? Que sais je vraiment du néant ?

Ai je tant d’importance finalement que toutes les choses qui tot ou tard et ce à chaque instant glissent irrémédiablement vers le néant ?

Pour honorer l’idée d’intégrité de justesse qui semble décidemment être le socle enfouit au plus profond de mon être et sur lequel j’ai construit tant de châteaux de sable pour le découvrir enfin, je dirais non, je n’ai aucune espèce d’importance. Pas plus que les feuilles qui tombent, l’herbe qui se raréfie, l’eau qui se tarit , le vent, la pluie les étoiles et tous les habitants de cette terre.

Je n’ai pas plus d’importance que tout cela.

Et je n’en ai pas moins non plus c’est que j’avais oublié de penser durant des années. Pas plus ni moins c’est bel et bien un équilibre encore à ajuster encore et encore afin d’imaginer un jour la pesée magistrale du monde sur la balance d’Anubis.