Avec ce confinement à répétition bon nombre de projets sont restés en jachère. Dont l’un qui me tient particulièrement à cœur, c’est la réalisation d’un film, sur le chaman peintre guérisseur Thierry Lambert. Nous avions commencé ce travail dans ce qu’il faut bien appeler désormais le monde d’hier. Je me suis rendu à Saint Hilaire du Rosier deux ou trois fois pour l’interroger sur sa pensée créatrice c’est à dire ce qui l’inspire pour réaliser ses peintures. À cette époque je traversais une crise au sujet de ma propre production, parmi les raisons qui m’avaient poussé à me rapprocher de lui, l’une était de comprendre comment un artiste véritable pouvait résister, tenir, ne pas perdre le fil pour continuer son œuvre contre vents et marées.
Dans sa maison musée qu’il me fait visiter, chaque pièce est envahie d’œuvres empilées sur des tables des commodes sur des étagères et dans d’innombrables cartons à dessin. Un travail réalisé au jour le jour durant plus de 30 années. Cela parait colossal mais si on réfléchit cela représente une œuvre par jour en moyenne seulement, et encore pas toute une journée car Thierry ne travaille que le matin. 11000 œuvres environ donc..
Je mesure la chance qui m’a été donnée dans cette rencontre et ces échanges qui m’ont beaucoup appris sur les notions d’intimité et de sincérité dans ce qu’un artiste accepte ou pas de montrer au monde. Et également cette complexité parfois d’établir une frontière entre ces deux notions.
D’ailleurs c’est bien autour de cette notion de frontière que tout mon travail sur ce blog s’effectue. Une recherche personnelle entre ce que l’on accepte de dire, d’écrire et ce que l’on garde secret.
Dans le fond cette approche sous le prétexte d’un interview d’artiste sur son œuvre, sur sa pensée et sur sa vie n’a peut-être pas eu de véritable raison d’être que cet espoir d’y voir un peu plus clair entre ces deux mots. Je m’en rends compte désormais.
Cet objectif « caché » si je peux dire, participe clairement d’une volonté d’étudier la sphère de l’intime et cependant, c’est avec la plus grande sincérité dont je suis capable, au moment où je l’ai rencontré, que nous avons pu échanger Thierry et moi. Ce que je veux dire par ce mot de sincérité c’est que je ne pensais pas en tirer un profit, que tout ce que j’imaginais convergeait vers l’échange. C’est ainsi que « sincèrement » on invente des buts, et qu’intimement par la suite on comprend qu’autre chose agit.
Voilà déjà une différence à établir entre la notion d’intimité et de sincérité. On pourrait dire que ce qui est intime apparait comme dissimulé parfois à l’acteur d’une scène lui-même et que la sincérité est cette passerelle qu’on établi plus ou moins consciemment pour parvenir à ses fins dans le domaine de l’intime.
Cette sincérité là est t’elle un stratagème ? Est ce vraiment de la sincérité, ou tout bonnement un artifice classique, un apprentissage directement issu de nos relations apprises pour entrer en contact avec le monde et les autres ?
C’est toute l’ambiguïté que j’ai découverte entre ces deux mots et qui m’aura donné bien du fil à retordre ces dernières années.
Et cependant dans laquelle je peux trouver une clef utile pour déverrouiller mes difficultés toujours présentes vis à vis de la peinture.
Car dans le fond qu’accepte t’on nous de monter lorsqu’on peint ? Est ce de l’intime ou du sincère ? Fabriquons nous également une frontière consciemment ou inconsciemment entre ces deux notions lorsque nous projetons quelque chose sur une toile, lorsqu’on écrit un texte.
Nous utilisons beaucoup ce mot de sincérité comme si celle ci créditait une démarche. Le contraire qui vient immédiatement à l’esprit évidemment c’est le mensonge, l’insincérité.
Et je me suis posé cette question de savoir si cette sincérité dont on parle de plus en plus pour qualifier l’art, les artistes, notamment dans le domaine de l’art brut ou de l’art Singulier était bien comprise ou pire si elle n’était pas encore un « moyen » de manipulation.
Je prends l’exemple de l’art brut ou singulier car la typologie des artistes n’est pas la même que dans les autres catégories que l’on a apposées à l’art pictural. Système de catégories constitué de cases, de limites, de différences, de codes , nécessaire à la comparaison.
Pourtant je ne suis pas certain que l’on puisse effectuer une réelle différence entre la sincérité d’un artiste d’art brut , celle d’ un peintre figuratif « classique » ou d’un abstrait. Je crois que l’on pose le mot sincère parce qu’on n’ose pas parler d’intimité.
Parce que l’intimité n’est pas une passerelle praticable facilement, parce qu’on sent à l’abord de celle ci que l’on pénètre dans un territoire qui, d’emblée, semble nous exclure aussitôt que nous y pénétrons.
A ce moment il est bien plus facile de penser la sincérité pour accéder à des codes que l’intime ne propose pas.
Il y a une confusion que l’on éprouve presque immédiatement et qui se manifeste par ce repli dès l’abord de l’intime vers le sincère.
Savons nous quelque chose de dicible d’ailleurs de l’intime ? Ne notre propre intimité ? Sinon qu’elle doit être tenue secrète et ce parfois vis à vis de nos proches les plus proches ?
L’intimité se déploie dans un non-dit qui parfois atteint le tacite. Elle peut s’exprimer par un regard, par un sourire, par un geste sans qu’il ne soit nécessaire de vouloir l’exprimer autrement. Et cependant l’intime n’est jamais familiarité ni même habitude.
Elle est immédiateté. Sitôt que l’on cherche à la maintenir de façon plus ou moins explicite, consciente, elle semble nous échapper en se repliant dans une obscurité, dans une gène.
Cela signifierait qu’on ne peut ni la décrire, ni l’enfermer véritablement en tous cas l’exhiber comme un monstre en cage au spectateur, au lecteur. Elle provient du même lieu de silence qui s’étend entre deux notes, entre deux valeurs, entre deux couleurs entre deux taches ou deux traits tracés au crayon ou au pinceau.
L’intimité est sensation. Et tout ce que l’on peut installer autour de cette sensation à l’œil, à l’oreille, à tous les sens n’est qu’un contour autour du vide en écho aux contours de notre propre vide.
Un vide car les mots manquent pour le combler. On ne peut s’exprimer que sur une périphérie et cette périphérie serait alors en grande partie constituée autant par la sincérité que les mensonges, les « artifices ». La sincérité tout comme le mensonge d’ailleurs est donc également le rempart de l’intime comme son révélateur si je puis dire mais elle ne se confond en aucune façon avec celle-ci.
Est ce pour cela que sitôt qu’il y a du flou, du mélange entre ces deux termes la réaction est quasiment épidermique.
Thierry pousse des coups de gueule qui sont bien plus des moyens d’établir cette frontière entre l’intime et le sincère que le fruit d’une indignation de surface comme on en rencontre tant.
Chez Thierry le coup de gueule comme d’ailleurs l’engouement l’extirpe par la sincérité du risque qu’il éprouve en permanence de se murer dans l’intime. C’est ce courage que j’apprécie en lui de poursuivre une relation avec le monde dont tout m’indique à priori qu’il pourrait se passer.
Car ses œuvres proviennent de l’intime je ne peux pas m’empêcher de le voir tant elles résonnent avec mon intime à moi, et surement avec celui de bon nombre de personnes désormais qui apprécient son travail. Et ce en dehors de tout effort de sincérité, dans l’immédiateté de la rencontre avec chacune d’elles.
Elles ont ce pouvoir d’attraction immédiat que Thierry semble essayer d’atténuer, peut-être pour que je n’y disparaisse pas tout entier , lors de ma visite, en me narrant des anecdotes, en évoquant des souvenirs de poètes rencontrés dont certaines de ces œuvres accompagnent les textes. Il parle avec cette voix à la limite de l’absence de genre qui peut être la voix d’un vieil homme, d’une vieille femme confondues dans le flot de celle de l’enfant qui s’exprime tout au fond de lui.
C’est en cela que ces visites m’ont ébranlé, c’est cette intimité avec l’homme, l’artiste et l’œuvre, renforcée par l’intimité de cet enfant qui se manifeste dans cette voix qui s’appuie sur le sincère à la fois pour maintenir cette distance et cette présence de l’intime.
Un enfant brut je dirais mais dont la brutalité représente le refus de la concession, l’intégrité du cœur comme unique trésor à conserver.
Il faut de la rage comme du courage pour conserver cet enfant , cette intégrité en soi-même, et continuer ainsi chaque jour son œuvre.
Peut-être que cette rencontre finalement m’aura aussi permis de retrouver en moi ce gamin que j’avais plus ou moins perdu de vue, enseveli sous les gravats, les ruines, tout le sinistre de ma vie d’homme.
Peut-être que cette rencontre a permis à cet enfant si solitaire jadis de rependre confiance au contact de l’intimité d’un autre enfant, sans que nous n’en parlions, sans que nous n’évoquions vraiment cela, en restant dans la sphère d’une sincérité dont nous savons tous les deux pertinemment ce qu’elle vaut.
Dans le fond rencontrer vraiment une œuvre je crois de plus en plus que c’est découvrir l’amitié. Un amitié dont on ne parle pas, dont on ne peut pas parler qu’en revenant au sincère et à toutes les failles, les manques, la morale qui constituent les hauts murs du non dit.
En tous cas cela m’a évidemment fait réfléchir. Que savons nous vraiment de notre propre intimité comme de celle des autres ? Et est ce si important de le savoir, de tenter même sincèrement de les définir ces intimités dans des longues palabres mentales ?
C’est aussi en cela que cette rencontre aura permis à l’écriture de s’élancer vers cette sorte de folie qui, je me rends bien compte, désire tout vouloir absorber en elle, l’intime et le sincère surtout, les confondant sans arrêt dans ce que j’ai eu la prudence d’appeler » des récits de fiction ».
Et même ce texte qu’est ce donc sinon une nouvelle fiction évidemment. C’est à dire une tentative d’approcher l’intime autrement que par le chemin habituel.
J’ai souvent trouvé la sincérité agaçante, celle que l’on me brandissait continuellement comme un mot d’ordre. Pour échapper à la pression que m’imposait cette obligation de sincérité je me suis beaucoup appuyé sur le mensonge. Le refus de cette sincérité que je sentais louche car elle ne me révélait rien de l’intimité de toutes ces personnes la plupart du temps. La sincérité était du domaine de la morale avec des notions de vérités et de mensonges, de vrai et de faux qui l’accompagnent ainsi la plupart du temps.
Pour échapper à l’entourloupe de ce que je ressentais comme décalé vis à vis de cette sincérité qui ne s’appuie pas sur l’intime.
C’était sans doute une exigence d’artiste mal adressée quand j’y repense. Car avec le temps je me rends compte à quel point la confusion est grande pour tout à chacun, artiste ou pas d’être vraiment accordé à ces notions d’intime et de sincère.
Je dirais même que c’est sans doute un des buts principaux de ce cheminement d’artiste que de trouver cet accord. Car si on y parvient et qu’on parvient alors à s’exprimer à partir de cet accord tout le monde s’y retrouve étrangement sans qu’il y ait besoin de grand discours.
Avec le temps j’avais oublié cet agacement enfantin quant à la sincérité brandit de toutes parts. Ou plutôt cet agacement ne se manifestait plus de la même façon. J’avais fini par mettre comme on dit la sincérité dans ma poche et mon mouchoir par dessus. Je m’étais tu.
C’est en revenant à l’écriture après un long silence que ce rapport à la sincérité m’est revenu et la rencontre avec Thierry Lambert finalement, fut une sorte de point d’orgue qui m’aura permis d’effectuer une sorte de tri entre le bon grain et l’ivraie.
Ma logorrhée douteuse finalement ce verbiage incessant, cette pensée qui s’acharne à vouloir tout expliquer du monde et de moi-même je la trouve ridicule certains jours évidemment. Mais pourtant ce ridicule m’apprend encore beaucoup en n’ayant pas peur de le regarder en face sur ce couple que représente l’intime et la sincérité.
Finalement en laissant aller ainsi la parole, l’écrit, la peinture sans la contraindre, sans vouloir absolument l’enfermer dans une catégorie un genre vraiment m’aura permis aussi de comprendre plus intimement cette fois la nécessité de la catégorie et du genre.
Cependant cette nécessité n’est pas cette fois un mot d’ordre qui proviendrait de l’extérieur, elle n’a pas grand chose à voir avec la sincérité habituelle, celle que je n’accepte toujours pas, c’est une nécessité commandée par l’intime qui aurait comme déblayé toute la poussière rendant invisible le sincère comme autant de mensonges que la société où moi-même dans l’ignorance de ce mot y ont déposés.
Oui je crois que Thierry m’a permis de remettre ma propre horloge à l’heure et c’est en cela que je crois qu’il est un peintre chaman guérisseur tout à fait réel, sans discussion possible quant à la véracité de ce que j’ai ressenti.
Il l’est car il a ce pouvoir immense de redonner de l’intime à tout ceux qui l’ont perdu en chemin, à tout ceux qui se sont réfugiés comme des naufragés de cet âge de fer vers une fausse sincérité et de pieux mensonges.
Voilà à quoi sert l’art s’il doit absolument servir, à exprimer quelque chose qui redonne de l’intime et du sens, sans tapage, à tous ceux qui les ont perdus oubliés et qui éprouvent avec plus ou moins d’acuité cette perte.
Pour écrire cet article j’ai effectué des recherches sur la sincérité et l’artiste sur un moteur de recherche et j’ai été conforté dans mon intuition, mon envie d’écrire ce texte suite à la lecture de plusieurs articles notamment par celui-ci Où la styliste, collectionneuse et mentor s’exprime sur la sincérité des artistes et qui semble être un critère important pour la sélection de ceux qu’elle expose à la FAB.
J’ai aussi découvert un blog sur la peinture très intéressant en tombant sur un article qui traite de la sincérité mais uniquement dans la démarche du peintre vis à vis de lui-même pourrait on dire. Et surtout d’une sincérité qui s’établit entre le réel et la transposition de ce réel en peinture par l’entremise du travail surtout, et de ce que je ne peux nommer autrement que de l’humilité.
Sans doute que ce texte est une sorte d’inauguration, une introduction à ces notions d’intimité et de sincérité quant à l’art et où se mélangent encore beaucoup de considérations trop personnelles, trop intimes si je peux dire. Mais ce blog est un laboratoire, il n’a pas pour vocation affichée de « faire de l’art ». Je dirais plus qu’il est un échafaudage tout simplement, une recherche de matériaux et d’outils susceptibles d’aider celui qui le nourrit et ceux qui veulent bien s’en approcher.
Illustration Peinture Thierry Lambert série « Amazonie »
Bon jour,
Seul l’accomplissement d’un labeur régulier comme une obsession dévoile cette sincérité car elle apparaît dans la nature même de l’œuvre … au détriment celui qui la recherche …
Max-Louis
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oh oui j’aime bien, c’est l’intime qui nous revient ainsi en boomerang par l’autre, c’est chouette !
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L’effet boomerang … je n’y avais pas pensé …
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une spécialité du « dream time » 🙂
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