L’intimité est le mot que nous employons pour parler de l’extérieur replié en nous-même. C’est un mot récent, aussi récent que l’individu et la démocratie telle que nous entendons ces mots aujourd’hui. L’intimité se confond avec le privé par rapport à un espace public. Pourtant elle ne parle jamais d’autre chose que de ce public qui s’insinue en nous, que nous interprétons comme quelque chose de privé. C’est là toute l’ambiguïté de la peinture également. Celle qui ne cesse de ressurgir à chaque instant où la main tente de s’emparer du pinceau.
Que vais je donc peindre ?
Est ce ce public retourné comme un gant dans une intimité, cette communication de surface, ou bien aurais je accès à ce territoire plus profond, plus silencieux d’où surgit l’abondance des œuvres sans la nécessité de leur questionnement, comme de leur explication.
Je crois que le marché de l’art actuellement en grande partie impose un modèle schizophrénique aux artistes qui sont libres d’obéir à ce modèle ou pas.
Ne sommes nous pas toujours libres d’effectuer au moins ce choix ?
Adhérer à l’intimité exhibée, ou bien nous enfoncer dans l’intime pour restituer une périphérie de sa présence.
Je me dis parfois qu’un peintre ne devrait pas aller si loin dans le raisonnement, dans la pensée, mais ce que je me dis n’est qu’un écho de choses entendues ça et là. C’est depuis cette intimité que je me parle à moi-même ainsi.
L’intime bien au contraire m’impose si je peux dire d’explorer cette intimité artificielle, de la dépasser. De dépasser ces notions d’intérieur et d’extérieur comme de public et privé.
Si loin que je puisse aller dans la sphère dite privée il n’y a rien en elle qui ne soit public à l’origine. C’est au delà de cette supercherie si je peux dire que se tient l’intime.
Que l’envie me prenne de peindre un paysage, un portrait, une abstraction, c’est exactement le même mouvement que je sens à un moment ou à un autre du tableau. S’échapper de l’intimité que ne cesse d’exhiber ces différents sujets comme des miroirs, pour atteindre à cet espace plus intérieur si je peux dire que toute notion d’intériorité superficielle.
C’est une exigence qui souvent m’expulse en dehors du moment sitôt qu’elle surgit. Et qui m’empêche alors de peindre.
Cependant que je sens bien que c’est dans cette interruption, cette non peinture si je peux dire,que j’atteins le cœur de cet espace intime.
A cet instant, la notion d’inachèvement, sa nécessité me saute au visage. Je laisse la toile en l’état durant de longs jours à contempler sa béance. Et cette béance me procure une sorte d’espoir. Et souvent aussi beaucoup de déceptions si je reviens à la notion de sujet, à vouloir représenter cette béance dans un sujet.
Sans doute est ce pour cela que je me suis engouffré dans l’abstraction. Pour régler si je peux dire, naïvement, le problème du sujet.
Je crois qu’il se représente alors d’une façon encore plus aigue dans l’abstraction ce problème.
Au moins quand il y a un sujet on peut régler le problème de la nécessité du tableau, c’est à dire un paysage, un portrait, un visage exprime en apparence pour bon nombre de personnes que quelque chose se peint avec raison.
Dans l’abstraction c’est tout autre chose, le sujet n’est plus prétexte sur lequel l’œil du public comme la parole du peintre dans une intimité de convenance pourraient échanger.
Dans l’abstraction l’intime est mis à nu dans sa pauvreté, dans son dénuement parfois à un tel point qu’il impose un recul, une angoisse, ou un engouement irréfléchi. Il n’y a pas à discuter, pas à expliquer pour meubler le silence que le peintre ne supporte pas lui même bien souvent. A partir de là il se réfugie dans la sincérité au mieux pour parler de son travail, mais cela n’indique que son propre écart, celui qu’il imagine entre le public et son œuvre.
Se taire est l’étape suivante pour en finir définitivement avec l’intimité afin de résider tout entier dans l’intime.
Se taire cela ne veut pas dire provoquer un silence gênant. Se taire c’est en dire bien plus et de façon plus juste que tous les mots qu’on pourra jamais utiliser pour parler de la peinture.
C’est ce qui m’aura toujours fichu le plus la trouille en même temps. C’est aussi ce qui me fait déballer toute cette intimité dans les mots dans la parole avec ce but de tarir enfin cette parole, de l’épuiser une bonne fois pour toutes afin qu’elle ne me gène plus pour accéder à la surface de la toile, pour être dans cet intime de la peinture.
Peut-être n’est ce qu’une sorte de fantasme, une exigence bien au delà de mes possibilités.
Peut-être qu’il faut encore que le temps passe, que j’atteigne un âge encore plus avancé pour me défaire de cette peur de l’intime comme de mon ardent désir de disparaitre en lui.
Illustration « Presque rien » Huile Patrick Blanchon
Bon jour,
Votre article me fait penser à deux mots : perméabilité et imperméabilité, antinomiques et liés p
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Si mon article fait penser je me demande … est ce que c’est encore de ma faute ou à celui qui pense ? 🙂 Merci et bonne journée !
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Il n’y a pas faute … seulement des réflexions à « hautes voix » …:)
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et liés par effet, tels l’intime et le public … quelles parts doivent transpirer vers l’extérieur ? Consciemment ou à notre corps défendant ? N’y-a-t-il pas de la manipulation entre soi et l’autre ? A quelle fin le cadre intime est-il toujours valable aujourd’hui ?
Les actes ne sont que le reflets d’un formatage … le soi n’existe pas, il est une simple représentation psychique pour un équilibre (et l’équilibre est une succession de déséquilibres) … l’intime au regard de l’intimité est un cercle vicieux dont nous n’avons actuellement plus aucune prise …
Bonne journée 🙂
Max-Louis
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C’est bien cette confusion que je tente de démêler pour que l’acte de peindre vienne de l’intime et non de « moi » de l’intimité.
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