Même la soixantaine passée voir un chat crevé sur la chaussée m’atterre. A chaque fois c’est la même chose, je crois que ça l’a toujours été. Je vois un chat crevé, je vois ma propre solitude écrabouillée par l’indifférence, c’est ainsi. J’ai beau me raisonner, me dire que je suis vraiment fleur bleue, trop sensible, trop cela et pas assez ceci ou cela rien n’y fait.

Et je ne sais pas comment les autres font pour s’en foutre à un tel point. A moins qu’ils n’aient découvert un secret que je ne connaisse pas. Un truc qui fait qu’on passe avec la même indifférence auprès d’une bête morte que l’indifférence, l’insouciance qui a causé sa fin.

C’est en voulant déplacer mon vieux kangoo il y a deux semaines, que je me suis rendu compte que la batterie était à plat. Heureusement il y avait un type sympa qui sortait de son véhicule, l’un de ces types qui volent au secours des personnes en panne, je ne pensais plus que ça pouvait encore exister.

Il a commencé par dire c’est la bougie d’allumage, une observation rapide et intempestive que j’allais balayer d’un revers de main en disant intérieurement fais pas chier mec ma batterie est à plat un point c’est tout. Mais j’ai eu comme un pressentiment, et j’ai esquissé un sourire déconfit. Ah bon vous croyez ? je crois plutot que c’est la batterie mais je ne suis pas spécialiste.

Il s’assit à ma place, donna un tour de clef et je vis bien à sa mine déconfite, lui aussi, que j’avais parfaitement raison.

Oui c’est la batterie, bougez pas je vais voir si j’ai des cables.

Et hop il prend les choses en main, et je démarre enfin.

En partant, je lui ai fait un petit signe de la main pour le remercier, je ne voulais pas m’arrêter des fois qu’elle cale et qu’il faille tout recommencer.

Il n’y avait pas de place sur le parking où je voulais la garer parce qu’un acheteur allait venir et que c’était plus facile pour lui donner les coordonnées Gps.

Du coup je suis revenu à mon point de départ et pour que les flics ne trouve pas ça louche j’ai avancé d’une place.

C’est là que j’ai vu le chat mort. Il était mort sous mon véhicule. Je l’ai vu en allant vérifier que tout était en ordre à l’arrière, que le plancher était propre.

A ce moment là une femme est arrivée avec son chariot à roulettes et m’a lancé : c’est vous qui l’avez tué ?

J’ai dit non, je viens de le trouver comme ça.

Et en revenant chez moi je me suis demandé si ça pouvait être moi qui avait écrasé ce chat en garant la première fois le Kangoo.

C’était une période vraiment merdique, le confinement, l’hiver qui arrivait et la chaudière de la baraque qui nous avait lâché. Une atmosphère glaciale !

J’ai senti que je n’étais pas très loin de chialer d’un coup en pleine rue comme un con.

J’ai remonté le col de ma veste, il caillait vraiment ce matin là, puis je suis rentré en me secouant un bon coup.

Caroline était à l’étage, je l’ai interpellée joyeusement d’en bas en gueulant : Le Kangoo démarre ! Je n’ai pas parlé du chat mort, je n’allais pas en rajouter, ça allait bien comme ça.

Le type qui voulait acheter le véhicule s’est pointé le lendemain finalement. Le Kangoo ne démarrait plus, il a essayé de faire le malin en disant c’est pas grave j’ai des cables mais j’ai vu qu’il les plaçait mal sur les connecteurs de la batterie. Je n’ai rien dit.

Le chat crevé était toujours là derrière nous.

Non désolé je ne peux pas acheter votre véhicule en l’état, je crois que votre batterie est morte.

J’ai dit ok pas de problème bonne continuation.

J’ai attendu un instant qu’il remonte dans sa voiture et puis j’ai desserré le frein à main, j’ai poussé le Kangoo d’un bon mètre vers l’arrière pour qu’il recouvre le chat. Et puis je suis rentré en disant ce n’est pas pour cette fois la Kangoo d’une voix ferme et calme qui m’a bien étonné lorsque je l’ai entendue sortir de moi.