Selon l’adage bien connu au Tibet, qui dit que le maitre vient lorsque l’élève est prêt, et selon ce que raconte aussi Plutarque de la plus grande crainte de Bucéphale, le cheval d’Alexandre, la médiocrité est un peu comme cette ombre qui m’aura énormément effrayé et que, tout en la fuyant, en résistant à son infernale emprise, je n’ai cessé d’entretenir. Comme la solitude, la médiocrité d’une vie est elle aussi un maitre qui peut nous enseigner énormément, si toutefois nous décidons d’être enfin attentif.
J’ai connu des personnes obsédées par l’excellence, tout comme je le fus durant longtemps. Et qui n’avaient pour étayer leur motivation, leur engouement, que d’excellents modèles. Ce qui semble être la voie classique. Par mimétisme il semble que l’on puisse obtenir une sorte de patine proche de l’idée d’excellence, une apparence en tous cas de celle ci, et que de surcroit on puisse s’en contenter.
Cependant ce qui constitue l’excellence ne se voit que très rarement à l’œil nu, et encore moins lorsque cet œil est aveuglé par tout le cinéma de tant d’ histoires à dormir debout, des croyances.. où encore qu’il appartient à la grande famille des borgnes cet œil mono maniaque, qui ne voit le monde qu’au travers une lorgnette étriquée. Enfin tous ceux qui déclarent de façon péremptoire que c’est excellent, puisque ça vient de moi, et comme c’est médiocre puisque ça vient de toi.
Si l’excellence ne servait qu’à s’éloigner de la médiocrité il y a fort à parier qu’elle ne serait qu’une version édulcorée de cette même médiocrité.
La médiocrité est un autre mot pour désigner la paresse. Peu importe que vous fassiez tant d’efforts pour être le premier en quoi que ce soit, ce n’est pas là le plus important, ce n’est pas le critère principal, si vous être paresseux pour ne pas voir votre propre médiocrité en face, si vous ne faites pas cet effort minimum, alors votre excellence n’est que de façade, c’est du bidon.
L’excellence véritable explore la paresse dans laquelle se refugie la médiocrité. Il faut imaginer une caverne à la gueule noire béante et qui exhale des odeurs fétides. Un truc dans lequel on n’a pas du tout envie de s’enfiler parce qu’on imagine immédiatement l’odeur de nos vêtements en ressortant. Un truc extrêmement rebutant sur le plan de l’imagination surtout.
Il faut donc quelqu’un dépourvu d’imagination totalement pour s’engouffrer sans crainte dans la médiocrité. Pour y voir clair il ne pourra compter que sur ce qu’il possède, une boite d’allumettes, une lampe de poche, ou alors il se dirigera à tatons, par le toucher, avec prudence pour ne pas risquer de tomber dans la première faille venue. Il sera aussi bien organisé car la médiocrité est une caverne, une grotte qui possède de nombreux couloirs, d’innombrables galeries. Elaborer un système d’orientation est aussi une priorité. Un peu comme dans un labyrinthe on décide de toujours aller sur la gauche ou sur la droite. Une règle qu’on ne changera pas en cours de progression sous peine de courir le risque évident de se paumer à tout jamais.
Pénétrer dans la médiocrité pour la comprendre, pour mesurer sa profondeur et son étendue, pour découvrir ses pièges et ses trésors cachés ne s’improvise pas. Combien d’écervelés sont entrés là qui n’en sont jamais ressortis ? On ne saurait les compter.
C’est à peine si en butant sur un caillou dans l’obscurité on se rend compte qu’il s’agit en fait d’un crane, d’une sépulture de hasard.
Peut-être que pour les plus chanceux, ceux qui savent s’adapter à de nombreuses situations, on apprend à vivre peu à peu dans la médiocrité, le regard s’accommode juste ce qu’il faut et l’on parvient ainsi à extraire de celle ci un minimum vital tout en apprenant la frugalité, l’économie de mouvements et de paroles inutiles. Peut être que l’on peut tenir ainsi, en faisant attention et en ayant toujours le risque présent à l’esprit. Le risque de se perdre ou le risque d’être totalement avalé par sa profondeur abyssale.
Sans jamais en ressortir victorieux enfin, tenant au bout du bras la tète de la gorgone, qui est en vérité le seul vrai trésor de cet enfer anodin.
Beaucoup d’appelés, peu d’élus.
Rares sont ceux qui ressortent indemnes de la médiocrité.
Et pourtant ceux là seuls savent désormais ce que signifie l’excellence. Ils n’ont pas besoin de le crier sur les toits, généralement ils se taisent et répondent aux questions par un sourire. Ils font désormais partie d’un monde parallèle et les échanges ne sont plus guère possibles que par l’entremise de ce sourire.
Un sourire de compassion infini pour tous ceux qui sont dans la médiocrité jusqu’au cou, qui ne s’en rendent même pas compte, ceux là même qui ne jurent que par l’idée de leur propre excellence.