Le charisme exhibé, en tant que cliché, coquille vide, par mimétisme s’apprend facilement. L’apparence de la richesse, du pouvoir, du talent ne reste qu’une apparence. On ne le constate pas tout de suite. On se laisse bluffer plus ou moins longtemps par paresse le plus souvent. En suivant le troupeau.
J’en connais un rayon sur l’apparence. Un de mes sujets de prédilection si je peux dire.
Mais le vrai pouvoir ou le vrai talent c’est comme l’élégance ça ne s’exhibe pas. Ce n’est pas accessible d’emblée. Jamais.
C’est pour cela que les vrais salauds, les pires enculés sont des mesdames et des messieurs tout le monde. Le mal ultime n’a l’air de rien comme le bien ultime d’ailleurs.
Avoir l’air de rien parce que c’est dans l’ignorance du rien que tout ici bas se joue.
La tartufferie comme la bénédiction silencieuse. L’effroi et le miracle comme les deux faces inséparables de ce fameux rien.

Lorsque je veux pénétrer dans la bauge des nostalgies et m’y vautrer quelques instants , dans cette boue du rêve, je repense à mes lectures anciennes. Aux lettrés chinois ou aux soufis persans. Un tout autre monde encore accessible via le regret d’être ici, dans ce monde déglingué. Je sais quel poison inocule le souvenir des jours heureux, le souvenir de l’insouciance, il y a un je ne sais quoi de Mithridate le sixième tout au fond de moi.
S’empoisonner sciemment consciencieusement, en pleine conscience, pour mieux prévoir tous les risques d’assassinats à venir. Cela demande aussi un certain talent et de comprendre l’utilité de la modération.
Naviguer dans toutes les interprétations erronées de l’énergie. Peu importe qu’on l’appelle ombre ou lumière. La catégorie n’est pas le territoire.
Pour atteindre le cœur de la cible ça ne sert à rien de viser l’extérieur. On apprend ça en tant qu’archer, en tant que peintre, en tant qu’être vivant tout simplement. Il faut dépasser la simple idée de croissance vers le dehors, qui est la première loi de toute organisme vivant.
Comprendre le ridicule d’une telle volonté aveugle de croite dans un espace limité dans ce sens là.
Traverser les apparences pour voir à l’intérieur qu’il n’y a rien à voir. Mais le rien c’est toujours quelque chose.
Le pouvoir et le talent se rapprochent de cette idée de rien. Et puis soudain on voit qu’il existe un petit quelque chose de rien du tout.
Et ce rien du tout se met à croitre plus on ferme les yeux, plus on se met à respirer à sentir, à peindre aussi.
J’ai traversé l’exode directement issue du couvre feu. Cette putain de panique automobile, queues de poissons et bouchons à répétition, tout en étant secoué par les grands vents, ce soir. Je n’en menais pas large sur le pont de Vernaison et je me demandais déjà comment me sortir de l’habitacle en cas de chute soudaine dans le Rhône, ça m’occupait.
Et puis j’ai mis un podcast. Qui a peur de l’art contemporain… j’ai fait pas mal d’effort pour essayer de comprendre pourquoi le conférencier avait l’air de jouir à chaque nom d’artiste ou d’œuvre qu’il prononçait . Il faut dire à sa décharge que dans les gradins les fidèles semblaient l’encourager à la masturbation publique pour ne citer que la représentante de chez Perrotin.
Bref je tentais de m’accrocher tout en oubliant le bordel infini provoqué par le virus, à cette histoire d’art contemporain. Et puis à un moment je ne sais plus si c’est avant ou après que quelqu’un ai bouffé la fameuse banane à 120 000 $ j’ai décroché.
Je me suis senti vieux tout à coup. Toutes ces conneries ne me faisaient plus rire et ce n’était pas la faute de l’art contemporain ni du conférencier non plus.
J’ai repensé à Joseph Beuys et à une de ses œuvres, juste un couteau avec un pansement sur la lame.
Si quelque chose te blesse met un pansement sur ce qui te blesse pas sur ta plaie.
Du coup j’ai éteint le podcast. Je me suis concentré sur ma vitesse au pas en essayant de ne pas avoir à m’arrêter, trouver ma juste place comme les distances correctes dans cette longue file de bagnoles à la queue leu leu.
Et au bout du compte j’ai trouvé qu’hier soir grosso modo on avait tous à la fois du pouvoir et un sacré talent, tous sans exception pour avoir le courage insensé de rester dans la file, et à croire que de toutes manières on finirait bien par atteindre, chacun de nous notre destination.
Férocement touchante cette écriture
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