Fulgurance et hésitation dans la peinture

Tu réfléchis trop me dit-elle, c’est pour cela que tu éprouves autant de difficultés à peindre. Elle le dit avec tendresse et une légère pointe de reproche car elle se fait une idée de la souffrance avec laquelle je suis perpétuellement aux prises. Ca lui fait peur que j’écrive autant de choses autour de la peinture. Tout ne devrait-il pas rester dans l’indicible ? Dans le mystère et le contact direct de l’œil avec la toile ? Quelque chose d’uniquement matériel ou charnel ? Comme une fulgurance qui désarçonne, qui bouleverse, qui chamboule. De l’ordre du sexuel absolument, du désir brut.

Rendre évident le corps à corps, la sensation. L’émotion qui envahit tous les interstices. Qui submerge, qui emporte, décolle et décape..

Et lorsque je laisse aller la violence bien sur elle dit tout doux voyons. C’est beaucoup trop chargé, laisse moi respirer, quelle brute tu es !

La toile est une voix féminine qui semble ne jamais savoir ce qu’elle veut. Qui pousse autant à la fulgurance qu’à la retenue à l’hésitation.

C’est pour cela que j’ai trouvé ce compromis. Comme dans un couple qui veut absolument faire durer. Je commence par la fulgurance. Je la tartine, la beurre, l’empâte, la maltraite, la rend lourde et pantelante jusqu’à ce qu’elle se fige dans un bordel pâteux. Et dans lequel il ne reste plus aucune issue que d’imposer l’ordre ou le silence. Et je ne sais plus à cet instant qui doit se taire si c’est elle ou moi et c’est très bien comme ça.

C’est alors que vient l’hésitation, la touche prudente, entre caresse et acte chirurgical. Presque de la timidité enfantine. En tous les cas un retour au timoré qui me rappelle un fond de difficultés permanent sous mes grands airs savants.

Il y a dans la peinture quelque chose de l’ordre du sexuel. Il faut apprendre à ne pas trop présumer de ses forces. Ou plutôt étudier la prétention minutieusement pour ce qu’elle a d’utile tout comme l’excès d’humilité et ses innombrables atermoiements.

Une position à mi chemin entre les deux. Entre l’amant et le compagnon. La bête et l’homme.

Entre fulgurance et hésitation.

Réflexion Huile sur toile 120×80 cm Patrick Blanchon 2005

Ce n’est pas un lieu tranquille. On pourrait même imaginer comme sur l’homme de Vitruve De Vinci une crucifixion invisible dans laquelle le principe à retenir est le croisement de l’horizon avec la verticale au niveau du plexus.

Cela semble tranquille en apparence pour le spectateur. Ou religieux si l’on veut. C’est juste fait pour attirer l’œil vers le carrefour.

Car nous sommes tous pris la dedans que l’on soit peintre ou pas.

Dans ce lieu étrange à mi chemin entre fulgurance et hésitation.

Les plus malins tentent de balayer la question évidemment. De n’être que décision ou hésitation perpétuelles. En invoquant les vertus de savoir bien choisir un camp.

De là une porte ouverte vers les massacres, vers la médiocrité, le vernis brillant cachant la misère.

Se tenir droit entre les deux fait cligner des yeux, peu de personnes peuvent voir le soleil en face vraiment. On se trouvera toujours milles raisons de ne pas le faire et fuir.

De plus il n’y a rien à y gagner. Absolument rien. Encore faut-il briser la gangue de ce mot « rien ».

Des poupées russes à l’infini qui s’emboitent, se déboitent si on croit encore et encore que l’on va obtenir quoique ce soit.

On apprend avec le temps ce que l’on sait pertinemment depuis toujours. On peut mieux se le dire, le circonscrire.

C’est à la fois résister et obéir.

Au bout d’un moment, on retend un peu la toile aux quatre coins. Petite pichenette à la surface pour écouter le son qu’elle renvoie. Faut aussi avoir de l’oreille évidemment pour saisir si c’est juste ou mou.

Il faut en avoir des choses pour peindre, des choses perdues surtout, des points de repère en mie de pain qu’on a beau tenter de remplacer par des cailloux, ils n’en disparaitront pas moins que pour mieux s’enfoncer dans le réflexe de l’instant, la réaction immédiate.