S’évader du connu

Sortir du cliché en peinture comme dans la vie est le résultat d’une fatigue. Si on tente de vouloir juste être original on va échafauder forcément une idée d’originalité. La pensée va reprendre ses droits aussi sec. Mais la pensée ne sait penser que ce qu’elle connait déjà.

Passer par la saleté est une piste que j’emprunte souvent. Dans la peinture et dans la vie. Ne pas broncher devant les tombereaux de merde, résister à l’envie de fuir. S’accrocher à l’attention par tous les sens. L’odeur de la merde aussi est largement stéréotypée. La démonter comme un puzzle pour revenir à tout ce qui peut l’avoir produite.

Ensuite on peut se demander si la peur ou le dégout n’ont pas pour fonction de préserver l’espèce. Comme la fuite éperdue, s’enfuir de, ou courir vers, finalement, n’est ce pas un peu pareil ? La peur et le désir, le binôme perpétuel.

Le problème souvent est l’idée du beau. On voudrait bien que ça soit beau en final. Que la vie ne serve pas strictement à rien. Qu’elle ne soit pas moche comme on le pressent quasiment immédiatement. Comme l’acte de peindre. Finir en beauté serait inscrit dans le cahier des charges.

Encore que la beauté aussi est à creuser profond pour revenir en surface. Tout comme la vie.

Comme le simple ne vient qu’après tout le compliqué.

On ne peut pas brûler les étapes. Sauf si dès le début on ne pense à rien. Si on n’a pas besoin de se débarrasser de penser.

Avoir l’air con dés le début et le rester farouchement, instinctivement, ça demande un sacré cran.

C’est faire confiance à sa propre connerie et cela ne se trouve pas à la surface vierge de la première toile.

Il y a des naufrages obligés pour rendre l’intelligence, celle que l’on brigue surtout, totalement vaine. Comme dans le savoir, le sexe, l’amour ou la littérature. Si on ne parvient pas à s’évader du connu on est fichu.

Faire confiance à sa propre bêtise. La débarrasser de son aspect superficiel, celui renvoyé par ce que l’on pense que l’autre pense surtout. S’attacher comme Ulysse à elle, lui rester fidèle pour écouter tous les chants des sirènes, et comprendre derrière l’apparence que prend l’intelligence, le bon sens, l’incohérence brute qui les fonde.

Diptyque en rouge et vert, huile sur toile, format 150×50 cm x 2 Patrick Blanchon 2020-2021

Bêtises, maladresses, erreurs, autant de monuments à célébrer à tous les carrefours de l’existence. Ne pas passer à coté sans les regarder, sans les apprécier, sans les honorer. Toujours la même sempiternelle histoire : résister entre la peur et le désir, investir l’entre deux, être calme au dépens de paraitre. Le rester surtout demande des nerfs.

Au bout du compte tout ce qui est mal fagoté, branlant, au bord de s’écrouler forme une population que j’apprécie. Un peu comme dans un bar louche, un antique bordel, une cantine ouvrière. Quand les gens n’ont plus l’énergie de vouloir être autre chose que ce qu’ils sont. Et c’est là que l’alchimie opère absolument. La transmutation. Tout cela finit par devenir d’une excellente adresse grâce à Dieu sait quoi. A force de regarder on sort de soi, et la lumière fait éclater la peau de tout le déjà vu.

Il ne faudrait pas s’y habituer évidemment sinon on revient à case départ. On finit tout seul par se fabriquer ses propres clichés, incompréhensibles au commun.

Là aussi se joue quelque chose d’étrange et de compliqué. Dans la création d’un langage personnel. La peur d’une solitude encore à traverser comme d’un ridicule tout neuf. Jusqu’à parvenir à l’évidence que c’est simplement ce que l’on est et qu’il ne sert à rien de le refuser encore.

C’est peut-être ça la maturité. Qu’elle soit artistique ou autre peu importe. Il s’agit d’accepter le bât et de labourer son champs. Ne pas chercher à tirer un sillon droit, rectiligne, la volonté ne sert à rien. C’est encore une idée. La réalité c’est autre chose.

La réalité d’ailleurs devrait toujours être autre.