La vie est la plus forte

Un amas de contradictions, de paradoxes. C’est ce que je vois, je ne vois plus que ça dans la glace le matin. Cela ne me fait pas bien rire comme j’en avais pris mon parti. La mauvaise pente de la vieillesse évidemment. Celle qui nous dépossède de l’humour.

Celle qui nous dépossède tout court.

Dans quelle mesure prendre la responsabilité sur soi de tant de ratages ? Et ces ratages, quelles réussites en seraient le positif ?

Positif et négatif, une combine de photographe. Une projection, un point de vue. Il y a tellement de manières de trafiquer un négatif. Je m’y connais. Je sais arranger le négatif pour fabriquer de jolis tirages en noir et blanc. Du moins je l’ai su à un moment de ma vie. ça aussi je crois que ça m’a échappé avec le temps.

Il y a de cela quelques années un type sympa dans une association dans laquelle je donnais des cours comme bénévole m’a refilé un agrandisseur. L’argentique c’est plus bien à la mode désormais ils s’étaient équipé en numérique au club photo.

C’est un Durst d’une taille imposante. Je l’ai rangé sur une étagère dans la remise de mon atelier. Je m’étais dit que ce serait bien de m’y remettre. Retrouver l’atmosphère de la chambre noire. Reprendre tous mes négatifs que j’ai conservés depuis toutes ces années et dont je n’ai absolument rien fichu. Une sorte de gâchis encore que je n’ai cessé de trimballer avec moi dans tous mes déménagements. Pour oublier ou ne pas oublier quelque chose sans doute mais sur laquelle je n’ai jamais vraiment pris le temps de m’arrêter.

On se dit quand j’aurais le temps. Et puis la vie passe. La vie est la plus forte elle se fiche bien de toutes les excuses et des mensonges que l’on invente.

C’est un peu pareil avec les femmes. Il faut que ça avance. Des projets sinon rien. Faut juste se donner de la peine comme d’habitude. A moins que soudain la fatigue nous gagne. Ou la vieillesse. Ou encore qu’un autre passe, plus dynamique, plus rassurant, ou plus menteur ou plus naïf, plus jeune finalement.

Je revois encore ce couple de vieux- ils devaient avoir 40 ans et moi une vingtaine d’années. C’était en Allemagne, à Oldenburg je crois, une fin de soirée où on s’était envoyé des mètres de bières. On avait tous échoué chez Klaus et je me souviens encore de cette musique, Cyndi Lauper – Girls Just Want To Have Fun.

Le type faisait la gueule assit sur une chaise tandis que sa femme se dandinait tout près de moi sur la banquette. Elle sentait le savon et la sueur, la sueur prenait le dessus de plus en plus sur le savon et j’avais trouvé ça excitant. Ce devait être pour ça que le type faisait la gueule. Et en même temps il paraissait tellement résigné, on aurait dit qu’un rouleau compresseur l’avait presque aplatit. Un profil en zigag qui faisait la gueule. Et sa pouffiasse d’épouse qui se liquéfiait à 20 centimètres de moi. Je subissais les vibrations à chaque mouvement qu’elle effectuait.

A un moment j’ai ressenti une empathie pour le type incroyable. Je m’étais mis carrément à sa place. Le rouleau compresseur m’était passé dessus aussi d’un coup. On se regardait en coin et puis on regardait son épouse qui continuait à gesticuler.

Elle avait fermé les yeux pour mieux ressentir la musique. Et puis à un moment elle m’a attrapé la main sous la table et elle s’est levée, elle m’entrainait vers le centre de la pièce pour danser.

je n’ai jamais aimé la danse, sauf seul dans les bois. Mais danser dans une fête, comme en boite m’est un supplice depuis toujours.

Danser est pour moi d’une impudeur extrême si on le fait pour s’amuser seulement.

Cette femme m’est apparu d’une extrême impudeur évidemment. J’ai résisté, elle m’a lâché la main et cela a du l’exciter ou la mettre en rogne car elle a soudain mis les bouchées doubles pour gesticuler.

On s’est regardé encore une fois avec le type. Il avait l’air de me remercier de ne pas y être allé. Une sorte d’amitié éclair, sans avoir besoin de parcourir tout le tralala habituel.

A un moment j’ai vu la femme partir avec un autre type, on devait bien être une quinzaine ce soir là. Ils ont ouvert une porte et je les ai vus s’esquiver dans une autre pièce.

On s’est encore regardé avec le type. Il devait avoir des yeux dans le dos car au moment ou la porte se refermait derrière le couple j’ai vu ses épaules s’affaisser.

On a bu encore pas mal et puis ensuite je ne sais plus trop. C’était le petit matin et la maison était sans dessus dessous j’ai du me tailler un sentier pour arriver à la cuisine et faire du café.

Le couple a du disparaitre pendant que je dormais je me souviens que je suis revenu dans le salon et j’ai humé l’air pour tenter de retrouver l’odeur de savon et de sueur, en vain.

J’ai bu mon café tranquille tout le monde roupillait et j’ai pensé à la vie, à ma vie. Je n’ai pas revu le couple plus tard dans la matinée ils avaient du partir dans la nuit. Je ne sais pas pourquoi j’ai conservé ce souvenir olfactif tellement puissant, une sorte de souvenir de fox terrier qui renifle la femelle. Enfin quand je pense à la vie, à son indifférence, à sa force, à sa cruauté j’ai depuis ce jour là une odeur de savon et de sueur mélangés qui me monte au nez