La reconnaissance.

C’est durant le seder, au moment de tremper le persil dans l’eau salée, qu’Harry ne pu réprimer ses larmes en écoutant Ravier rappeler à l’assistance les turpitudes anciennes qu’avait traversées le peuple juif au moment de s’émanciper du joug pharaonique. De grosses larmes salées commencèrent à dégouliner le long de ses joues et à rejoindre sa barbe lorsque tout à coup Ravier lui posa la main dans le dos puis le frotta afin qu’il se redresse.

Et surtout il faut être reconnaissant ajouta le rabbin. Reconnaissant pour tout le travail effectué en amont afin que nous puissions avoir ces herbes sur cette table, reconnaissant pour le sel, reconnaissant pour l’agneau, reconnaissant pour être là encore une fois tous ensemble autour de cette table.

Harry hoqueta et la main du rabbin s’éloigna de lui. Ce dernier reporta tout son poids sur le coté gauche, le bousculant un peu ce faisant et l’obligeant par la force cinétique à faire de même. Se redresser.

Le persil qu’il mit dans sa bouche était d’ une fraicheur telle qu’il calma immédiatement l’angoisse et la peine qu’il éprouvait. Soudain surpris il porta une attention plus accrue à sa mastication tandis que Ravier continuait à lire les prescriptions de la Haggada d’une voix forte et assurée.

Dieu soit loué reprirent les convives et on brisa en deux la matza, le pain non levé. La plus grande partie devait être réservée pour la fin du repas. Puis tous les regards se tournèrent vers Harry car en tant que fils et le plus jeune des convives c’était à lui de poser les quatre questions. Une fois de plus Ravier parla et demanda sans le regarder :

Qu’y a t’il de changé ? Pourquoi cette nuit est t’elle différente des autres nuits ?

Puis il leva la seconde coupe de vin et le bras, la main, le verre avec son liquide, tout resta ainsi suspendu un instant dans l’attente qu’il la porte enfin à ses lèvres pour la boire. Enfin lorsqu’il reposa le verre la première question fut posée.

Pourquoi mange t’on que des pain azymes ? demanda Harry avec une voix qu’il avait oubliée depuis son enfance.

Ravier le regardait désormais comme pour mieux l’encourager.

Pourquoi ne mange t’on que des herbes amères ? s’enhardit Harry

Pourquoi ne mange t’on que de la viande qui doit être rôtie ?

Pourquoi trempe t’on deux fois alors que les autres nuits on ne trempe même pas une fois ?

A la fin de la dernière question Harry se mit à sangloter comme un enfant. Ce fut au tour de Margherita de rompre le silence gênant qui envahissait la salle à manger.

-Nathan dit-t’elle en s’adressant à Harry c’est bien que tu sois venu après toutes ces années, nous t’en sommes tous reconnaissants, soies le bienvenu mon fils, Dieu soit loué et elle s’interrompit car elle aussi avait les larmes aux yeux.

Ravier se racla la gorge puis déclara qu’il était temps de se laver les mains. En joignant la parole aux actes il se leva pour aller chercher une bassine, puis une fois qu’il se fut essuyé les mains il la passa à Harry qui fit de même à son voisin.

Il était encore sonné d’avoir entendu la mère prononcer son vrai nom. Personne ne s’était adressé à lui ainsi depuis des années, et même lui, Harry avait finit par croire qu’il s’appelait véritablement Harry.

Il avait quitté la maison tellement jeune, il n’avait jamais eut la chance de poser les quatre fameuses questions au moment de Pessa’h. Et il lui semblait que toute sa vie d’errance soudain s’expliquait par ce manque.

Apprendre à un enfant la reconnaissance de lui-même en posant des questions aux autres, tel était le sens du rituel.

Quelqu’un lui tendit le rouleau d’essuie tout, il s’essuya, puis regarda les convives l’un après l’autre, aucun ne paraissait lui en vouloir de quoi ce soit ce soir là, tous étaient bienveillants les uns envers les autres.

A un moment il eut l’impression de voir passer une ombre dans le regard de Margherita, mais ce n’était qu’un papillon de nuit qui voltigeait autour de l’ampoule nue de la pièce.

Cette nuit nous quittons l’esclavage, nous retrouvons la liberté lui confia Ravier comme pour lui seul avant de reprendre la lecture de la Haggada.

Pessa’h Huile sur toile 60×80 cm 2021 Patrick Blanchon