Bâtir sur du sable 2

L’infini et le temps.

Pour ses 7 ans Alcofribas reçut une montre bracelet qui l’extirpa de l’éternité et de l’ennui C’était une Kelton, les aiguilles se détachaient élégamment sur fond blanc et durant une journée entière il observa les petits sauts qu’effectuait la trotteuse à chaque seconde pour faire le tour des chiffres romains inexorablement. Au bout de quelques heures il parvint à déchiffrer chacun de ces chiffres, et à la fin de la journée il savait lire l’heure sans se tromper.

La grand-mère qui avait eut l’idée de ce cadeau, ne tarissait plus d’éloges sur les capacités merveilleuses de son petit fils. Elle en parla durant toute une semaine à qui voulait bien l’entendre ou pas.

A cette époque les grands parents d’Alcofribas vivaient et travaillaient encore à Paris. Ils louaient la moitié d’un septième étage dans une petite rue calme du 15ème arrondissement. Le balcon avait été aménagé spécialement pour empêcher tout drame. Un rideau de canisses de bambou tranquillisait tout le monde contre tout risque de chute ou d’évasion intempestive.

Alcofribas avait réussi a détecter un défaut dans la cuirasse de la forteresse, quelques lattes qu’il avait aidé à se briser et par cette meurtrière digne d’un véritable château fort il restait là à considérer la rue en bas, notamment le magasin du marchand de couleurs dont il était amoureux secrètement de la fille du propriétaire.

Il avait seulement suffit d’une fois pour que son imagination s’enflamme et ce en dépit des circonstances prosaïques qui formaient l’écrin de cette merveilleuse première fois. Du Spontex et du liquide vaisselle.

Va chez le marchand de couleurs et achète moi du Spontex et du liquide vaisselle je te note la marque sur le papier..

Ce devait être le second ou troisième jour des vacances, il y avait beaucoup de places libres dans la rue car les gens avaient rejoint leurs familles aux quatre coins du pays. Alcofribas poussa la porte du magasin et il se trouva nez à nez avec la plus belle de toutes les petites filles qu’il n’avait jamais vues. Il l’examina et ce qui l’émut le plus ce fut une petite fossette dans le creux d’une joue puis resta un long moment bouche bée car la petite fille avait un regard d’or dont il n’arrivait plus à se détacher.

S’il fallait trouver quelque chose de relativement similaire à ce choc esthétique, Alcofribas revenait évidemment à toutes les premières fois déjà vues et dont il établissait régulièrement la liste.

Et de toutes ces premières fois la seule qui fut vraiment à la hauteur de l’impression procurée par ces yeux dorés était la frondaison en fleur du vieux cerisier, celui du jardin dans sa campagne bourbonnaise.

Depuis lors, depuis cette rencontre et malgré tout l’aspect profane des circonstances, spontex et Mir, il n’avait plus de cesse de guetter par cette fente dans les canisses et ce aussi souvent qu’il le pouvait l’entrée du magasin de couleurs tout en bas dans l’espoir d’apercevoir à nouveau la petite fille. Il y avait quelque chose de douloureux et de délicieux dans cette attente qui n’en finissait pas et de temps à autre Alcofribas tentait de s’en distraire en regardant la trotteuse de la Kelton sauter par dessus chaque chiffre.

L’amour découvrit Alcofribas est du domaine de l’Eternel, de l’Infini du sacré, et de l’ennui … Et c’était sans doute la principale raison pour laquelle on avait inventé tellement d’occupations à seule fin de se libérer de cette éternité. Cette infini qui s’appelle seulement l’ennui quand le cœur ne bat pas la chamade. Quand il ne ressemble plus cette petite trotteuse qui saute de chiffre en chiffre et dont parfois on se réjouit d’autres fois non.

à suivre

Détail huile sur toile Patrick Blanchon 2021

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