Encore un peu plus loin dans le « déjà vu »

Le temps de boire un café et de fumer une cigarette, les idées surgissent dans ce moment vague où je viens d’achever un texte en m’apercevant à quel point je suis passé à coté de ce que je voulais dire.

La vérité c’est que je ne me relis pas beaucoup , non pas par prétention, mais pour ne pas interrompre le courant électrique, pour ne pas trahir non plus ce quelque chose ou quelqu’un, ce qui tente de s’écrire plus ou moins adroitement. C’est une forme d’honnêteté, de loyauté qui dépasse souvent, la politesse que je dois au lecteur de bien organiser les idées, les énoncer avec clarté, d’ être poli et lisse comme un galet.

C’est que j’ai aussi compris qu’il ne sert de rien de vouloir plaire au plus grand nombre, et qu’il vaut mieux avoir un lecteur seulement qui lit bien ce qui lui convient que 1000 qui parcourent en oubliant derechef ce qu’ils viennent d’ingurgiter sur un coin de zinc ou sous la couette.

Un peu plus loin dans le déjà vu c’est ce titre qui me vient lorsque je revisite les sensations qui me traversent concernant la peinture aujourd’hui. Je veux dire que ça se ressemble souvent tellement d’un peintre à l’autre qu’on dirait qu’ils se copient qu’ils se clonent. La question est donc de me demander si cela vient d’eux ou de moi, si c’est seulement mon œil qui interprète par fatigue le dégout en familier.

Le fait est qu’un point commun semble relier ces particules innombrables qui se dupliquent à l’infini et qu’un hashtag regroupe.

C’est la notion d‘intention qui manque la plupart du temps. Une attention plus grande aux légendes me force à prendre une page de traduction pour lire en espagnol en allemand, en croate ou en pygmée, ce que le peintre veut dire en toutes lettres, une fois passé son placard publicitaire. Et souvent ce ne sont guère autre chose que des banalités ajoutées aux dimensions de la toile, et quelques indications sur la technique employée

Certains ont des milliers de vues et de like alors que d’autres rien ou presque rien cependant que les travaux sont étonnamment similaires. Je parle du travail réel par de la photographie de ce travail.

C’est que la présentation joue un rôle essentiel, ajoutée à celle ci une bonne stratégie d’utilisation des différents réseaux, et surtout des fameux « mots clefs » les hashtag , pour se démarquer et le tour sera joué.

Alors qu’est ce qui compte véritablement dans ce cas ? On peut être un peintre assez médiocre et avoir des milliers de followers parce qu’on est malin, qu’on a de l’entregent, de la réactivité aux like et aux commentaires et inversement être un excellent peintre, totalement inconnu.

J’exagère bien sur, je force le trait.

Parmi la foule d’artistes il arrive assez souvent que les meilleurs peintres recueillent également une audience importante sans pour cela avoir besoin de déployer d’artifice, de stratégie.

Cependant s’ils possèdent en même les deux c’est le jack pot !

Du coup ça vaut le coup de se mettre à la place du spectateur, celui qui passe sa journée à scroller sur ces fameux réseaux et qui like et qui commente et qui partage à qui mieux mieux. Que recherche t’il ? Quel est son plaisir ? Quelle est donc son obsession ?

Il me semble que la notion de déjà vu est importante dans les choix que ce spectateur va ou non effectuer. Soit pour le conforter, soit pour le détourner d’un compte. Il ne s’agit pas de réflexion, aucune pensée ne semble motiver son clic, c’est plus du domaine du reflexe pavlovien.

Et ça veut dire en gros : « je me reconnais ou pas là dedans. »

Se reconnaitre dans une œuvre, il y a quelque chose de fabuleux dans ce mécanisme, une fois la pulsion dépassée.

Se reconnaitre tout court déjà est formidable. Tellement formidable que cette propension à vouloir se reconnaitre est tout à fait faussée par des contraintes inhérentes à la bonne marche de la société.

Ainsi un cadre en reconnait il un autre ou se reconnait il lui même selon la coupe, la marque d’un costume, d’une cravate, de l’épaisseur d’un col ou la qualité du cuir de leurs godasses.

Ainsi un ouvrier se reconnait dans le blues du bleu de chauffe qu’il aperçoit sitôt qu’il franchir les grilles de l’usine et tend la main à ses camarades.

Ainsi un peintre se reconnait il lorsqu’il rencontre un autre peintre abstrait ou figuratif, qu’ils utilisent les mêmes mots, le même langage pour tenter de se dire à chacun ce que peut bien être la peinture.

Cette notion de reconnaissance, de s’être déjà vu quelque part dans le temps au moins une ou plusieurs fois semble être la source à la fois d’un certain confort afin de communiquer comme de son malaise.

Etre d’accord c’est pénétrer presque instantanément dans le familier, voire la familiarité. Et partant, de cette dernière frontière à la plus belle des sauvageries, la guerre.

Les gens se fatiguent tellement de tomber toujours d’accord qu’ils n’en peuvent plus. Il faut qu’il y ait une anicroche, un attentat à Sarajevo ou ailleurs pour que la guerre éclate toujours, que la différence se recrée, pour que la haine viennent contrebalancer l’amour, souvent devenu trop artificiel ou mécanique.

Moi même je tombe dans le panneau régulièrement. Je découvre soudain une peintre, un peintre et son travail « me parle » comme on dit. Mais dans le fond de quoi me parle t’il sinon d’un autre travail, d’un autre peintre que j’avais déjà distingué d’une masse confuse. Et cet autre peintre je n’imagine pas non plus qu’il soit un singleton, il est bel et bien relié à un autre et un autre ou une autre, etc.

Ainsi cette propension fugace, extraordinairement rapide de déclarer un j’aime ou je n’aime pas ne serait t’elle pas proportionnelle au nombre de fois où l’on a déjà vu, déjà aimé quelque chose de semblable ?

Ce qui est ici en question ce ne sont pas tant les tableaux ni les peintres mais celui qui les regarde et comment il les regarde, et sur quoi il s’appuie pour prendre cette fameuse décision d’aimer ou de ne pas aimer.

Cette superficialité dans le domaine du gout s’est certainement étendue à cause ou grâce aux progrès de l’imprimerie en premier lieu, puis à la télévision, et enfin aux réseaux sociaux.

Il pourrait même être envisageable que dans la civilisation de masse dans laquelle nous sommes, elle soit une forme de nécessité à entretenir afin de gérer finement l’économie ou le politique.

Provoquer l’opinion par pulsion en appuyant juste sur un bouton virtuel, le rêve de tout oligarque qui se respecte un tantinet.

Il est même possible si je poursuis mon raisonnement que la politique et l’art contemporain soient si bien appareillés qu’à la seule fin de provoquer ce malaise, cette incertitude qui nous écarterait de la superficialité qu’afin de mieux s’accrocher encore à elle, une fois que nous ayons comme on dit retrouvé nos esprits

On pourrait y trouver un cynisme épouvantable, une sorte de complot magistral dont le but est d’asservir totalement les cervelles mais ce serait alors accorder à certains au sommet de la pyramide de la dégringolade générale une intelligence hostile, dont heureusement ils sont totalement dépourvue.

Je verrais plus une sorte de résultat formé par le subconscient jusqu’au boutisme d’un système qui ne cesse de prendre les gens pour des cons depuis des décennies.

On le sait le subconscient n’a pas d’humour, et ne fait aucune différence entre le positif et le négatif. Il ne fait que servir les prières, toutes les prières qu’on lui adresse sur tous les tons, avec toutes les intentions bonnes et mauvaises qui les font naitre.

Le déjà vu examiné sous cet angle expliquerait assez bien la mode qui se démode pour être à la mode, les meubles vintage, et même la délinquance sous toutes ces formes, notamment sexuelle.

C’est à dire que l’association du pouvoir et du sexe cherche également à dépasser pour se démarquer de la masse le déjà vu. Et en matière de délinquance, et de sexe c’est difficile de dépasser le déjà vu en restant dans les rails.

Recrudescence d’incestes, de violences conjugales signalement en pagailles concernant la maltraitance des enfants voilà ce que produit un excès de déjà vu. Ajouté à cela un virus, une épidémie, deux ou trois confinement, agitez le tout.

L’art n’est pas plus épargné que le reste.

Il est alors un choix à effectuer pour le peintre c’est d’étudier ses propres priorités. De quoi ai je besoin vraiment ?

Si c’est de manger et payer mes factures je dois vendre quelque chose qui plait au plus grand nombre.

Si je ne veux pas lâcher l’affaire explorer la peinture dans ce qu’elle est intrinsèquement c’est à dire une méditation continue sur le vivre et l’être alors tant pis.

Tant pis pour les adeptes de toutes les sectes du déjà vu. Elles adorent au final le même veau d’or, les mêmes fantasmes de choux gras. La gloriole, le clinquant et la tartufferie générale. Souvent en toute inconscience si on peut encore leur concéder cette charité.

Pardonner la connerie et l’ignorance. C’est à dire ne plus l’avoir en charge, s’en débarrasser, et tailler la route le pinceaux entre les dents en fermant les yeux pour échapper aux clichés autant qu’il nous soit permis de le faire évidemment.

Je n’ai pas trouvé d’autre illustration qui me venait à l’esprit que celle du serpent qui se mord la queue, l’Ouroboros

Je crois que les anciens avaient saisi l’essentiel de ce qui fait fonctionner une société et probablement l’univers tout entier. Un truc qui tourne en rond, une sorte de défi silencieux proposé aux excentriques dont la définition en mécanique révèle une rotation autour d’un axe taré.

Ouroboros

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