« Pour PRG quelques éléments qui me sont venus suite à une question posée sur la notion d’auto-sabotage. »
De la pulsion à la pensée.
Pour illustrer ce voyage de la pulsion à la pensée j’aimerais parler du refus. Un refus magistral tout d’abord qui se manifeste dans la révolte, dans un « non » catégorique et ce dès les premiers pas.
Si le but premier, fut interprété par le simple fait de se tenir debout et d’appartenir ainsi à l’espèce, tous les efforts à produire pour tenter d’y parvenir me parurent absurdes presque immédiatement.
Ces premiers échecs à répétition furent comme prémonitoires d’un avenir tiraillé entre l’envie de réussir quoique ce soit et celle de systématiquement tout rater.
C’est-à-dire que dans mon for intérieur déjà pesait lourd le pour et le contre.
J’avais beau me creuser la cervelle je ne comprenais pas grand-chose à ces idées de réussite qui ne m’appartenaient en rien et que je sentais impérieuses comme un héritage laissé en jachère dont j’avais en charge l’entretien et surtout l’injonction silencieuse d’une fructification.
Il fallait faire mieux. C’était ce mot d’ordre certainement qui n’était jamais prononcé clairement qu’il fallait capter.
Que j’ai capté comme un buvard boit l’encre.
Faire mieux était un non-dit, un implicite et tout ce qui n’était que « bien » ne pesait pas bien lourd dans cette balance invisible.
Je crois que mes tous premiers refus tirent leur origine de cette injonction invisible qui, par son importance, son omniprésence, était une béance trouant le monde tranquille que l’on me présentait sans relâche comme une réalité à accepter les yeux fermés.
Aujourd’hui avec le recul les choses se sont complexifiées car les années et l’expérience m’auront contraint à apprécier ou détester la nuance.
Évidemment que rien n’est noir ou blanc, qu’entre ces deux extrêmes s’étalent l’immense gamme des gris.
Un marais boueux dans lequel on s’engage pour chercher quelque chose que l’on ne trouve jamais.
Parce que tout bonnement l’important n’est pas de trouver mais de traverser.
Toutes ces pensées semblables à des poupées russes dont l’ultime est si infime, si insignifiante qu’elle se confond à l’extrême avec l’incohérence.
Comme si la cohérence naissait de la présence invisible elle aussi cette graine folle.
Comme si la cohérence était la seule et unique nécessité que des générations passées nous avaient léguée comme on léguait la braise et la flamme pour permettre au groupe de s’éclairer dans l’obscur, de traverser la nuit, tout en se réchauffant à l’abri des vents glacials.
La sauvagerie dont je parle remonte à une époque d’avant la découverte du feu, d’avant la découverte de cette cohérence.
Cette sauvagerie animale prise au piège si l’on veut, dans les filets de la logique incompréhensible nécessitant de se lever, de marcher, de se tenir enfin debout comme tout le monde.
Je ne me souviens pas de mes premiers pas.
Je ne me souviens que de l’effroi provoqué par le fait de ne pas y parvenir, de cette désespérance apportant avec elle la colère, la haine, l’envie de me terrer à jamais sous terre, la preuve de ma faillite comme si quelqu’un ou quelque chose n’attendait que celle-ci.
Cette attente indicible de la chute à venir comme une clause écrite en minuscules dans un contrat illisible.
L’ambition ne pouvait provenir que d’un sentiment de revanche, du ressentiment. L’ambition était déjà souillée avant même qu’elle ne se présente comme but à atteindre comme un chemin sans embûche.
Et je n’étais pas d’accord avec cette ambition-là, je n’ai jamais cessé de lutter contre sans même connaître le mot.
Cette ambition était un fardeau qui amoindrissait l’être qui le recroquevillait sur lui-même, qui ne rendait rien heureux, mais au contraire posait sur un piédestal l’effort le difficile, la souffrance et le pénible comme des passages obligés dans le labyrinthe que représente toute idée de réussite.
Au mieux j’éprouvais de la compassion au pire la sensation du ridicule qu’entrainait un tel postulat.
Et je ne me décidais jamais à prendre parti pour l’une ou l’autre. La meilleure position que j’ai toujours choisie était de me tenir dans l’équidistance de ces deux extrêmes.
Entre l’amour fou et la dérision la plus totale.
Si je puis écrire tout cela aujourd’hui c’est que malgré tout j’ai effectué un chemin qui s’élance depuis la pulsion jusqu’à la pensée en passant sans doute par le kaléidoscope de toutes les émotions, de tous les sentiments.
Je me suis éloigné du centre névralgique sans pour autant jamais le quitter du regard.
A bien y réfléchir je ne suis pas peintre pour rien.
Je ne peux voir un tableau comme une obsession qu’en prenant de la distance avec ceux-ci, en multipliant les points de vue. En me détachant des émotions des pulsions basiques comme des idées toutes faites.
A bien y réfléchir aussi ce n’est pas ce qu’il y a sur le tableau qui m’intéresse le plus.
C’est bien plus le cheminement pour parvenir à accepter qu’il y a quelque chose à voir, et que je suis en partie responsable de ce quelque chose. Que sans moi il n’y aurait qu’une toile vierge.
Que sans moi il n’y aurait qu’une attente silencieuse s’étendant aux confins de l’univers comme une faim, une soif qui ne s’apaisent jamais.
Peut-être que je peins aussi pour cela pour calmer la faim et la soif, pour leur donner une raison d’être si ce n’est une raison véritable, partageable, échangeable. Un être plus qu’un avoir, une possession, une propriété, un bien.
La peinture est d’abord un médium. Un outil. Ce n’est jamais une fin en soi. Mais c’est l’outil que j’ai choisi pour cheminer entre la pulsion et la pensée. Ce qui est étonnant c’est la faculté que possède la peinture pour faire taire la pensée tout en la nourrissant de silence et de calme. Comme un enfant que calmerait une mère en lui donnant le sein pour qu’il s’arrête de brailler.
Mes tableaux sont ils vraiment représentatifs de ce cheminement ? Et quand bien même en quoi cela intéresserait il les gens ? c’est ce que je me demande de plus en plus désormais.
Lorsque je regarde l’ensemble je ne vois guère qu’un fouillis, un désordre. Des scories résultant du creusement d’un filon laissé à ciel ouvert par les mineurs.
Il faut alors que je me pose la bonne question : Qu’est ce qui est vraiment important ?
Est-ce la déception de ne pas avoir réalisé une œuvre digne de ce nom et rejoindre ainsi l’amertume familiale pour jouir enfin de tout mon saoul du leg ?
Ou bien est-ce la reconnaissance de posséder un cœur vraiment contre toute attente. D’être parvenu finalement à trouver cette fameuse pierre philosophale capable de transmuter le plomb en or et de garantir une éternelle jeunesse ?
Là encore je ne prendrais pas position. Je me dirais encore que la modestie vaut bien tous les trésors tous les legs du monde.
L’entre-deux m’a toujours aidé finalement à ne pas sombrer dans la folie c’est-à-dire à revenir tout entier dans la pulsion ni à m’égarer à jamais dans la sublimation.
C’est comme cela que j’ai compris qu’il fallait marcher au bout du compte, je ne suis pas fichu de dire si c’est la meilleure ou la pire façon de se tenir debout et d’appartenir à l’espèce.
Mais c’est celle qui me convient et qui me mènera sans aucun doute à la destination finale le plus naïvement lucide que possible. Pour ça je crois que j’aurais fait de mon mieux comme on dit. A ne pas confondre je ne le crois plus avec du désespoir ou de l’auto-sabotage, il me semble que c’est tout le contraire. Sans doute que pour la plupart ce ne sera pas limpide mais je mettrais ma main au feu, c’est serein et joyeux me concernant.
Le raffinement à venir.
Peut-être faut il considérer le raffinement comme l’extraction d’une essence plutôt que de m’essayer à devenir dandy. Le laboratoire me convient mieux que n’importe quelle mondanité. Je suis bien, plus à l’aise, avec les alambics et les cornues qu’avec n’importe quel être humain qui exprimerait cette nécessité d’avoir à parler, à partager, à expliquer échanger, bref qui se donnerait une raison d’exister.
Un autre moi insupportable plus encore que je m’insupporte moi-même.
Le raffinement passe aussi par la solitude, celle de l’atelier, celle de la page de traitement de texte.
Au bout du compte ce sont les seuls lieux où je me sens bien, où j’ai l’impression d’être totalement présent et de marcher sans produire trop d’effort. Mieux que de marcher même car c’est autre chose que simplement le corps qui est en mouvement.
C’est la sauvagerie et la pensée enfin alliées pour une éternité d’instants, deux contraintes qui forment un pont une passerelle, une liberté.
« Au bout du compte ce sont les seuls lieux où je me sens bien, où j’ai l’impression d’être totalement présent et de marcher sans produire trop d’effort. Mieux que de marcher même car c’est autre chose que simplement le corps qui est en mouvement. »
De ce lieux de cet impression d’être présent, pleinement présent, marcher sans trop d’effort …. naissent les oeuvres :-)) Il faut parfois une vie entière pour le trouver ce lieux, le ressentir. Est-ce que c’est un but ? Je ne sais pas, mais c’est très agréable de le trouver et de là, commencer un dialogue !
Merci Patrick pour ce partage. je vais relire le texte plusieurs fois, mais je souhaitais noter cette petite phrase à ma première lecture. Amitié. Patrick RG
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Je commence à émerger doucement au delà des efforts qui provoquent les précipitations …bien amicalement Patrick
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