Un dégout de l’habileté

Cela fait quelques mois, peut-être même une année ou plus que cette sensation de dégout ne me quitte plus. Car ce que j’entrevois souvent lorsqu’on me parle d’habileté c’est le but à atteindre par celle-ci. Et ce but n’a pas grand chose à voir la plupart du temps avec l’art tel que je le considère.

L’habileté est une sorte de mot d’ordre, une injonction par lesquelles le dessinateur ou le peintre s’égare.

Challenge personnel de l’artiste qui chercherait naturellement à se performer lui-même ou encore passage obligé soi disant pour atteindre l’objectif du « chef d’œuvre » tel que celui-ci est la plupart du temps perçu par le grand public.

Mais quel est le but qui se dissimule vraiment pour chacun et qui utilise l’habileté et l’art comme prétextes ?

Je me souviens par exemple avoir passé beaucoup de temps à dessiner des caricatures de mes camarades lorsque j’étais écolier pour attirer leur attention au début puis assez rapidement, comme si celle ci ne suffisait pas, pour aspirer comme un crève la soif leur admiration.

Mon but n’était pas de faire de l’art à l’époque, c’était plutôt tenter d’exister auprès de mes camarades. J’étais un être falot, bon en rien vraiment, et d’une timidité maladive. Aussi la plupart du temps je me tenais en retrait des autres, drapé dans cet orgueil incommensurable que seuls d’ailleurs les timides possèdent.

Je ne me souviens plus vraiment comment les choses ont commencé. Un jour je me suis découvert une certaine habilité à dessiner phénomène lié à ma seule capacité exceptionnelle d’observation, et j’ai décidé de l’utiliser pour créer du lien avec les autres.

Ce ne fut pas génial tout de suite mais probablement suffisamment insolite pour attirer en premier lieu l’attention.

Puis le fait d’être parvenu à cette première étape m’a procuré le gout de m’améliorer encore et encore et, à force d’observation et surtout d’entrainement, je suis parvenu à recueillir ce que je briguais, sans jamais vraiment me l’avouer clairement , c’est à dire l’admiration d’un public.

Cependant que parallèlement au plaisir d’être admiré pour la qualité de mon trait, pour cette faculté à relever et grossir, exagérer les défauts sur les visages de mes congénères, j’ai aussitôt senti naitre un sentiment d’imposture carabinée.

C’était comme si j’avais fait un très mauvais usage d’un don. On sent très bien ce genre de chose lorsqu’on est enfant. C’est à dire que l’on comprend intuitivement à quel point on s’éloigne de la justesse par le mensonge progressif que l’on construit vis à vis de soi et des autres.

Cette dissonance entre l’habilité et la justesse de l’intention aura fini par interrompre mon engouement pour la louange et la gloriole assez rapidement. Et me fis prendre en grippe le dessin tout simplement.

Au bout du compte Je retournais au fond de la cours de récréation, encore plus peiné que je ne l »étais auparavant et je consacrais toute mon attention à l’étude des doryphores et autres insectes qui peuplaient les abords du jardin qui s’étendait au delà des grillages.

Délaissant l’exhibition de mes talents de dessinateur, je m’employais alors tant bien que mal et pour exactement les mêmes raisons que précédemment, à faire rire mes camarades. Là aussi il semblait que je possédais une sorte de don pour me transformer en pitre très apprécié par les garçons, mais qui ne m’aidait guère lorsque je m’avisais soudain d’attirer l’attention des filles.

Leurs mines attristées, voire dégoutées semblait ne jamais cesser de m’avertir à quel point je me gâchais. Aussi la plupart finirent par ne plus me regarder du tout et c’est ainsi que je devins une fois de plus transparent.

Sauf une, une petite boulotte, maladroite et impulsive, dont les traits étaient plutôt ingrats et la conversation assommante. Elle se prénommait Louise et la plupart du temps elle aussi errait seule de l’autre coté de la cour.

C’était tellement ironique que j’aurais pu bénir le Ciel de me faire découvrir son humour. Sauf qu’à cette époque j’étais tout à fait incapable d’un tel recul.

Evidemment je ne souhaitais absolument pas entretenir la moindre relation avec elle ni montrer le plus petit signe de sympathie.

Malgré mon isolement j’étais aussi intransigeant que la plupart de mes camarades qui, en matière de filles les divisaient soient en canons soit en boudins. J’ai beau me creuser la cervelle même vieux, je ne me souviens pas qu’il exista de catégorie entre ces deux extrêmes à cette époque. Ce qui me fait songer à une sorte de consensus silencieux nous obligeant quelque soit notre condition de petits mâles à parler le binaire comme une langue maternelle.

Ce fut un jour de novembre, la nuit s’était posée sur le village presque à la sortie de l’école et l’éclairage public était défectueux. Je me retrouvais donc à devoir rentrer à pied jusqu’à chez moi à quelques kilomètres de là dans une obscurité presque parfaite. Mais je connaissais la route comme ma poche et ma foi, que pourrait il bien m’arriver ? me raisonnais je

J’avais placé mon cartable sur mon dos et j’attaquais de bon cœur le chemin lorsque j’entendis une petite voix derrière moi qui m’appelait.

C’était Louise.

J’hésitais un instant en continuant sur ma lancée comme si je n’avais rien entendu. Elle habitait à quelques centaines de mètre de chez nous, c’était la fille du couple de restaurateurs qui tenaient un établissement luxueux au carrefour du Lichou à Vallon en Sully, juste avant la Grave. D’emblée le fait qu’elle vienne d’une famille aisée me la rendait suspecte mais en plus son embonpoint additionné à sa maladresse notoire, et à son excitation perpétuel, ne me donnait absolument aucune envie qu’elle m’accompagne.

-Attend s’il te plait j’ai trop la trouille il fait noir lâcha t’elle d’une voix pleurnicharde en parvenant à ma hauteur.

J’ai pris la posture de John Wayne quand il est furax. Puis je me suis souvenu qu’on n’y voyait goutte et je me détendis un peu. Après tout ça ne servait plus à grand chose d’avoir l’air. Nous n’étions plus que nos pas et nos voix sur la route et du coup je reportais toute mon attention sur ceux-ci.

Elle marchait sans rythme, de syncope en syncope, tantôt avec lourdeur, tantôt en se trainant et sa respiration semblait difficile ce qui ne l’empêchait pas pour autant de parler de tout et de rien comme si elle avait peur d’écouter tout simplement le silence nous entourant.

D’ailleurs je lui ai dit non sans une certaine méchanceté soudaine

Mais arrête de parler tu me saoules

Elle obtempéra à ma grande surprise et je su alors qu’elle était capable de m’obéir, ce qui me laissa une sensation mi figue mi raisin.

Nous marchèrent ainsi en silence à travers les rues désertes du bourg, atteignîmes à mi chemin le petit pont qui enjambe le canal du Berry depuis lequel nous quittâmes la grand route pour longer les berges. Une odeur forte flottait dans l’air où se mêlait des effluves de gasoil , de feuilles en décomposition et aussi celles de la vase et peut-être même de poisson.

Louise se taisait elle n’essayait plus de rompre la magie de la nuit. Ce qui me la rendit peu à peu sympathique.

Ce fut lorsque nous parvînmes au grand pont qui traverse le fleuve , le Cher que nous reconnûmes l’odeur du sang.

Les abattoirs du village se trouvaient en contrebat et durant les périodes de grande activité on pouvait voir des nappes de sang brun flotter à la surface des eaux ce qui faisait un effet bœuf il faut bien le dire.

L’obscurité rendait presque palpables les odeurs et parmi toutes je découvris l’odeur de Louise. Une odeur de petite fille avec un je ne sais quoi de parfumé mélangé à des fragrances inconnues.

Tu es sympa de m’accompagner déclara t’elle à cet instant. Et je sursautais comme si j’avais été pris au piège, comme si elle s’était introduite dans mes pensées.

Je me contentais de grommeler un truc comme on est presque arrivé histoire justement d’avoir l’air sympa. Et elle du sentir mes efforts car elle ne pipa plus mot jusqu’à la fin du chemin lorsque je la laissais devant chez elle.

La lumière des lampadaires était revenue comme j’arrivais chez moi j’aperçu la voiture de mon père garée sur le bas coté et je lui trouvais un air menaçant comme à l’ordinaire juste avant de pousser le portail de fer.

On avait livré du bois dans la cour. J’apercevais une masse informe de rondins que j’aurais certainement à ranger les jours prochains.

Enfin au bas de l’escalier je respirais un bon coup et me refaisais une tète de gamin médiocre et falot. Je ne savais pas si c’était ma vraie tête tout ce dont je me souviens c’est que là aussi je m’étais beaucoup exercé pour avoir l’air . Et probablement aussi dégouter mes parents qui ne juraient que par l’habileté par ci et l’adresse, la dextérité par là.

Ce fut ce soir là je crois, en m’endormant que j’ai imaginé que Louise et moi puissions devenir amis. Cette promenade dans la nuit où elle était parvenue à se taire m’avait grandement impressionné. C’était à mon tour d’être admiratif pour une fois. Et ça m’a flanqué une envie de pleurer comme un idiot mais je tenais un truc enfin je le sentais.

Ce truc se situait à des années lumières de toute idée d’habileté ou d’art. C’était juste le mouvement lent et profond du cœur qui se met enfin à battre. Ca valait bien toute la reconnaissance ou l’admiration du monde, ça valait mille fois mieux, ça n’a aucun prix voilà tout, pas plus qu’aucune raison d’être.

5 réflexions sur “Un dégout de l’habileté

  1. Bon jour Patrick,
    Effectivement, il y a un temps les : »filles se divisaient soient en canons soit en boudins. » 🙂 Actuellement, je n’ai pas d’info … je pense que cela n’a pas changé 🙂
    Bonne journée 🙂
    Max-Louis

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  2. Dans mon métier, le graphisme, on est condamnés à l’habileté pour des raisons évidentes. Mon excuse, le graphisme est mon gagne-pain. Quand je peignais, ça ne me lâchait pas et c’est probablement pour cela que j’ai troqué le pinceau pour la plume. Beau texte, vraiment.

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