Mon « secret » pour écrire et pour peindre.

En regardant une vidéo de mon ami Patrick Robbe Grillet sur la réalisation d’un dessin au fusain, je me suis posé cette question : Quel est donc son secret pour posséder une telle fulgurance ? Le dessin ne dure qu’à peine 3 secondes et je suis resté bluffé par la virtuosité de sa ligne et par la rapidité d’exécution.

S’était-t ‘il entrainé comme ces adeptes des arts martiaux à répéter sans relâche le même geste ?

Y avait t’il une façon particulière de mobiliser l’énergie pour la concentrer dans ce geste ?

Utilisait il la respiration et si oui le geste partait-t’il de l’inspire ou de l’expire , ou encore de ce moment entre les deux ?

Bref, j’étais là me poser toutes ces questions lorsqu’il se mit à parler du fait de dessiner ou de peindre « entre les pensées ».

-Aussitôt qu’une pensée surgit je relève le crayon ou le pinceau- dit il de mémoire.

La raison invoquée est que la plupart du temps nos pensées sont des jugements, des comparaisons, et que celles ci polluent le trait sans même que l’on s’en rende compte.

Du coup je suis resté un moment comme deux ronds de flan devant la vidéo et évidemment ce qui ne devait pas manquer d’advenir advint :

Je me suis demandé si moi aussi j’étais capable de peindre entre les pensées ?

Du coup j’ai tout de suite essayé de faire une série de peintures au brou de noix et à l’encre de chine sur papier pour observer ce qui se passait à l’état brut, c’est à dire sans tenter d’arrêter la moindre pensée ni chercher à peindre évidemment entre celles ci.

Le but était juste d’observer ce qui se produit durant l’acte de peindre.

Et là problème de taille : Aucune pensée.

Du coup je m’affole, je grille immédiatement quelques cigarettes en tournant en rond dans mon atelier.

Quelque chose semblait ne pas tourner rond, cette absence totale de pensée pendant que je peignais m’a carrément flanqué la trouille.

Et bien sur à partir du moment où j’ai arrêté de peindre les pensées ont fini par se bousculer dans ma pauvre tête

Du genre :

Tu dois être complètement marteau mon pauvre gars. C’est impossible de ne pas penser et tu n’es pas assez attentif pour remarquer toutes les pensées qui t’assaillent à ce moment là voilà tout.

Ou encore : à l’opposé si on veut : Tu es tellement vide de sens, totalement, absolument, que ce vide est ton état naturel.

Bref plutôt les boules en gros.

J’ai laissé passé quelques mois, évidemment je suis passé à bien d’autres choses et puis soudain aujourd’hui je lis un article de Julian Chapiro sur l’écriture et là une sorte de déclic s’opère.

voici une traduction de ce qu’il dit :

Les grands esprits sont devenus brillants grâce à la communication. De grandes idées émergent en écrivant ou en parlant, pas avant. Lorsque vous exprimez des idées, votre cerveau ne peut s'empêcher d'établir des liens entre elles et de les faire progresser.

L'écriture est un laxatif pour l'esprit.

En fait j’avais toujours imaginé qu’il fallait penser avant de faire quelque chose du genre peindre ou écrire et je me sentais toujours extrêmement mal à l’aise, voir coupable de ne jamais parvenir à y arriver.

En peinture bien sur j’ai quelques thématiques récurrentes, comme dans les sujets qui m’obsèdent quant à l’écriture, mais on ne peut pas dire que j’y pense vraiment. Les choses viennent seulement lorsque je me mets à peindre ou à écrire.

Je ne fais jamais de plan, jamais d’ébauche ou d’esquisse.

Mon manque de confiance dans ma pensée pour créer est tel que j’occulte totalement celle ci systématiquement pour écrire ou peindre.

Les raisons sont sans doute multiples et je ne vais pas les énumérer ici car cela dépasserait la limite supportable d’un article de blog.

Ce que je veux dire pour résumer c’est que cette faille, ce soi disant handicap dont je pensais être une sorte de victime au bout du compte pourrait bien s’avérer mon meilleur atout pour écrire et peindre.

En ne m’attachant à aucune pensée, ignorant totalement le mécanisme de la pensée je plonge littéralement dans l’inconnu pour en extirper des phrases, des idées, des lignes et des couleurs.

Du coup il y a bel et bien un résultat après coup et ce résultat je l’analyse évidemment comme tout à chacun pourrait le faire en décidant que c’est bien ou que c’est médiocre.

Au début la confrontation avec ce résultat m’était tellement pénible que je ne relisais jamais mes carnets, j’empilais mes peintures dans un coin de la maison sans vraiment prendre le temps de les regarder vraiment.

J’étais tellement obnubilé par l’idée de l’écriture ou de la peinture comme étant des actes artistiques que je me sentais souvent en dessous, pas au niveau, pas de taille à affronter le moindre verdict, à commencer par le mien.

C’est avec le temps que les choses se sont calmées, en acceptant peu à peu de livrer à d’autres regards ces textes et ces tableaux. Ce n’était pas aussi catastrophique que je l’aurais cru c’était ça aussi la réalité.

Donc oui finalement j’ai véritablement un secret pour écrire et peindre, c’est à dire quelque chose que j’ai toujours imaginé comme une tare , quelque chose de honteux.

Je ne pense à rien, je me lance et je me dis on verra bien.

La vérité c’est qu’avec les années la peur du ridicule a peu à peu disparu de mes préoccupations. Je l’ai même étudié en profondeur ce sentiment de ridicule à une époque de ma vie à seule fin de l’explorer, comme on explore une terre hostile à première vue mais qui dissimule des trésors inouïs quand elle nous devient de plus en plus familière.

Je crois que cette peur du ridicule y était pour beaucoup dans le jugement abrupt que je portais sur mes créations littéraires et autres. Et tant que cette peur m’entravais je ne pouvais parvenir à une certaine justesse d’exécution.

Soit j’en mettais trop soit pas assez.

C’est cette difficulté de pondération sans doute qui est au centre de l’acte créateur. Cette difficulté avec le temps s’est elle aussi transformée en quête, en cheminement.

Le but n’est pas d’arriver à un beau texte, à une belle peinture, le but est de parvenir à une certaine idée de justesse qui n’existe ni en amont ni en aval de ces instants durant lesquels j’agis.

Le but est de parvenir au présent et d’en capturer quelque chose par l’action afin d’en témoigner. C’est juste cela.

C’est aussi pour cette raison qui ne me paraissait pas vraiment utile au monde que j’ai eu un mal de chien à me considérer comme un artiste ou un écrivain.

Ca va mieux maintenant. C’est toujours bon de partager un peu de ses hontes comme de ses secrets n’est-ce pas ?

Toutes mes amitiés Patrick !

voici, pour les anglophones; le lien vers le site de Julian Chapiro au cas où un déclic puisse se produire, se répéter à l’infini

https://www.julian.com/

5 réflexions sur “Mon « secret » pour écrire et pour peindre.

  1. Tout est étonnant, la vidéo, le mouvement et le geste au fusain, la réalisation donc par voie de conséquence, vos questions, vos analyses, vos recherches, et toujours se remettre à l’ouvrage, youpi ! merci, et pour le lien aussi, très bonne soirée

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    1. Merci beaucoup Louise ! Alors « toujours se remettre à l’ouvrage » oui mais j’ai aussi compris qu’il ne fallait pas en faire un but en soi… c’est un peu comme les personnes qui cherchent le détachement … tant qu’ils le cherchent ils lui restent attaché voyez vous comme il est astucieux ce petit « je » ? sourire ! Bonne journée !

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  2. Et bien voilà encore un texte profond, qui me parle. Cela me remémore tes podcasts « les raisons de peindre »; je les adores ses émissions 🙂 J’ai adoré aussi tes créations en brou de noix, que j’avais d’ailleurs étiquetées … niveau galerie, pour te signifier mon admiration pour cette série.Je me suis dis qu’un galeriste pouvait vraiment y trouver son compte !
    Avec toute mon amitié Patrick.

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