On va tout vous expliquer.

C’est en 1978 que parait le roman de Georges Perec « La vie mode d’emploi » qui obtiendra la même année le prix Médicis.

Une toute première ébauche avait déjà vu le jour en 1974 dans « Espèce d’espaces » du même auteur publié aux éditions Galilée.

A l’origine raconte Perec l’idée lui est venue de l’observation d’un dessin: No vacancy de Saul Steinberg

No vacancy de Saul Steinberg

Il s’agit d’un immeuble dont on a retiré les murs extérieurs afin que l’on puisse observer la vie des habitants.

Le but du roman est d’épuiser non la totalité du monde mais d’un fragment seulement de celui-ci. Ce qui est déjà en soi une tâche impossible lorsqu’on y réfléchit.

C’est sur le postulat d’une exhaustivité possible en raison du lieu et du temps réduits face à l’immensité de l’univers et de l’éternité que s’agite en vain , l’ambition de Bartlebooth le principal protagoniste de ce récit ou de ces mini romans contenus dans le roman tout entier.

On pourra aussi retenir le personnage de Valène, ce peintre qui désire « faire tenir toute sa maison sur sa toile ».

Perec mettra une dizaine d’années pour construire ce roman mais il déclarera aussi que c’est une obsession qui remonte à bien plus loin, comme d’habitude à l’enfance.

Ce désir d’exhaustivité, de vouloir tout expliquer, dérouler, déployer pour se faire une idée claire de quelque chose, de toutes choses, voilà ce qui ne nous quitte plus désormais.

Une volonté malsaine d’ubiquité ne cesse de nous animer cependant qu’elle nous dirige simultanément tout droit vers l’insignifiance magistrale. Quel drôle de paradoxe ne trouvez vous pas ?

Evidemment si ces idées me viennent ce matin ce n’est pas pour rien.

Je me rends compte en examinant mon travail de peintre que celui ci aussi est propulsé par ce même désir d’exhaustivité, par cette nécessité de déployer de nombreuses techniques, de nombreux médium, et ce sur de multiples formats et supports.

Il y a comme un mouvement dont le point de départ serait de vouloir absorber le monde l’ingurgiter le dévorer pour le restituer à chaque fois sur une seule toile, un seul dessin, et qui évidemment se solde par des échecs à répétition.

Je ne crois pas être le seul à qui cela arrive. Je crois que beaucoup d’artistes sont obsédés par cette idée d’exhaustivité sans même qu’ils n’en prennent jamais conscience.

Non pas que l’art puisse expliquer quoi que ce soit, cela j’en suis désormais persuadé, mais comme la profusion des œuvres, la profusion des pensées sans doute provoque t’elle cet élan vers une sorte de toute puissance dangereuse que l’on mettra des années parfois a ralentir puis à freiner enfin.

Cette boulimie s’achève souvent par une anorexie avant d’enfin trouver son juste milieu par la mystérieuse opération du Saint-Esprit allié à celui Des vases Communicants.

Aussi mon poil se hérisse t’il malgré moi, notamment celui qui trône au creux de la paume de ma main, sitôt que j’entends la phrase plus du tout magique pour deux ronds :

« On va tout vous expliquer »

Désolé je ne bouffe plus au même râtelier, mes seigneurs et dames, désormais j’ai réduit la voilure, je deviens gourmet, je me contente de savourer, j’étudie l’élégance, je m’abstiens de lécher l’assiette.

6 réflexions sur “On va tout vous expliquer.

  1. Bon jour Patrick,
    Ce fameux livre : « La vie mode d’emploi » du non moins fameux Perec est resté pour moi un indigeste repas qui d’ailleurs a franchi tout juste la centième page avec sueur et mal-être … franchement, c’est imbuvable … et ce « postulat d’une exhaustivité » est pour ma part un leurre pour la simple raison qu’il y a une recherche « de quelque chose » comme une aiguille dans une meule de foin qui n’est jamais trouvé pour la raison la plus simple du monde : c’est quand l’on cherche « un quelque chose » qu’on ne trouve pas et inversement : c’est quand l’on ne cherche pas que l’on trouve … 🙂
    Bonne journée à toi 🙂
    Max-Louis

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    1. rire ! Merci beaucoup Max-Louis à vrai dire je mentirais en disant que je suis allé plus avant que les 15 premières pages de ce roman. Ce qui est intéressant malgré tout c’est de comprendre quelques 40 ans plus tard la raison de cette répulsion qui n’était qu’instinctive à l’époque. Belle journée 😉

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  2. Je retiendrai, au-delà de Perec, qui a eu le mérite de mettre des mots là où personne ne voulait en mettre (j’exagère à peine 🙂 ) ou d’en enlever, c’est cet appétit de saveurs, si subtil, si prometteur… merci pour cet article, très bonne journée

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