La première impression en peinture

Je viens de peindre une bonne partie de la journée. Une grande toile de 100×100 cm à l’huile et je poste le travail en cours sur mon compte Instagram.

Je pourrais me demander pourquoi je me sens obligé de poster ce travail sur les réseaux sociaux en premier lieu.

Est-ce parce qu’il faut que je poste absolument quelque chose pour ne pas perdre ma place dans l’algorithme ?

Est-ce parce que j’en suis tellement fier que je ne peux conserver cela pour moi seul, que je me trouve dans une sorte d’obligation de le partager ? de partager l’exaltation pour en réduire ainsi la charge ?

Est-ce parce qu’en le regardant au contraire je ne puis éprouver la moindre sensation que je puisse trouver suffisamment solide pour m’appuyer et que je compte sur celle des autres afin de pouvoir décider de l’orientation future de ce tableau ?

La plupart du temps comme je l’écris plus haut je ne me pose jamais ces questions.

C’est une sorte d’habitude que je me suis donné de poster les tableaux dans leur état d’avancement tels qu’ils sont.

Ceci pour obtenir un peu de visibilité sur internet, ajouter un peu d’eau au moulin de ce personnage de peintre qui ne cesse de se débattre entre une idée de la peinture et la peinture elle-même.

En préparant mon nouveau livre, le tome deux de « propos sur la peinture » je relis un texte dont le sujet est « la première impression ».

A la relecture je découvre des maladresses, des passages flous que je me mets à corriger moi qui ne me relis quasiment jamais.

Cela vient aussi d’une impression que j’éprouve à me relire que je pourrais résumer dans les mots confusion, désordre, bancal. C’est la fameuse première impression à la relecture de la plupart de mes textes depuis toujours.

Du coup j’ai décidé de rebloguer ce texte corrigé puis d’aller me servir un café.

En fumant la cigarette qui l’accompagne invariablement à cette heure de la nuit, les idées arrivent par vagues successives autour de cette idée de « première impression ». Des idées que je n’ai évidemment pas mises dans ce texte.

C’est la même chose lorsque je vois mes tableaux exposés dans les différents lieux qui ont la gentillesse d’accueillir mon travail.

Une sorte d’insatisfaction chronique si je peux dire qui se résume par une sorte de prise de conscience désagréable concernant le fait que la plupart de mes toiles ne me paraissent plus du tout abouties comme je l’avais pensé en les signant quelques mois ou années plus tôt.

Je crois que derrière l’aspect désagréable il y a tout de même quelque chose de positif dans ce jugement, c’est l’idée que rien n’est jamais totalement terminé et que tout peut encore s’améliorer.

Il y a des peintres qui devaient éprouver la même sensation puisqu’ils n’hésitaient pas à se rendre dans les salons où leurs toiles étaient exposées avec des tubes de gouache ou d’huile pour ajouter quelques touches à la sauvette par ci par là. Ainsi Bonnard par exemple était-t ‘il connu pour cela. D’ailleurs il existe un mot pour ce genre de manie : c’est le mot « bonnarder ».

Dans le film « Turner » On voit également le peintre s’approcher de l’une de ses toiles, puis sortir un tube de rouge pour réaliser une bouée au premier plan de sa mer qu’il trouve subitement trop vide.

Bref cela montre bien à quel point nous avons du mal à nous fier vraiment à ce que l’on appelle une première impression comme à une dernière d’ailleurs. A l’impression du moment qui peut nous faire agir de la pire ou de la meilleure des manières.

Mon épouse qui est une passionnée de séries policières et psychanalyste de métier, rejette en bloc la notion d’impression lorsqu’il m’arrive de l’ennuyer avec les miennes.

La phrase : j’ai l’impression qu’il va pleuvoir, que les choses vont bien ou mal se passer dans telle ou telle situation, j’ai l’impression qu’on va toucher un joli petit pactole car ma paume me gratte etc. cette phrase là au mieux la fait toujours sourire, au pire l’agace et j’en prends alors pour mon grade.

Toi et tes impressions…

J’imagine que tout le monde connait plus ou moins cela n’est-ce pas.

Ce qui fait qu’au bout d’un moment on n’en parle plus. On finit par garder ses impressions pour soi et la boucler.

Ce n’était pas le cas du Capitaine du navire sur lequel devait embarquer Charles Darwin lors de la fameuse et légendaire expédition du Beagle. A cette époque on croyait dur comme fer à la physionomie en tant que science et le bonhomme se faisait fort d’être physionomiste.

Monsieur Darwin n’a pas le nez qui convient pour un tel voyage aurait t’il dit. Ce nez n’inspire aucun courage ni détermination.

Heureux 19eme siècle qui avait donc tenté de faire des impressions une science exacte. En vain évidemment.

Pour en revenir à Columbo et à ma femme, les policiers ne peuvent s’empêcher de le dire au moins une fois par épisode : « je n’imagine rien, je ne pense rien, je m’appuie seulement sur les faits, rien que les faits. »

Cela me fait rebondir sur un petit texte qu’avait écrit Calaferte sur un fait divers afin de se guérir de la maladie des écrivains : leur perpétuelle tendance à la digression.

Des phrases sèches et courtes, sujet verbe, complément, sans pratiquement aucun adjectif ni adverbe, voilà une jolie retraite et largement de quoi méditer par la même occasion.

Mais pour revenir à mon titre, c’est à dire cette fameuse première impression en peinture, celle qui surgit lorsqu’on repose le pinceau et que l’on s’éloigne du travail pour le regarder vraiment, sur quoi nous appuierions nous si ce n’était celle-ci ?

On peut examiner le tableau au travers de différents points de vue bien sur, tant par sa composition par exemple, son jeu de couleurs, la température générale de l’atmosphère qui s’en dégage , mais c’est souvent au travers de l’impression générale première que nous tentons d’établir le contact avec le travail en cours ou achevé.

Cela me fait penser au métier d’entrepreneur. Quelle est la principale qualité d’un entrepreneur ? c’est l’intensité.

Et c’est aussi l’intuition, la rapidité de décision.

Il serait impossible pour un entrepreneur d’examiner une problématique en se perdant dans le méandre des détails et des nuances. Cela c’est le travail des salariés généralement.

C’est donc seulement armés de leurs impressions que les entrepreneurs vivent et choisissent intensément au travers leurs décisions l’avenir de leurs entreprises.

Cela ne signifie pas qu’ils croient en la magie.

Cela signifie qu’ils font confiance au cumul de l’expérience qu’ils ont déjà vécu en de nombreuses situations, à l’intuition qui en surgit pour tel ou tel cas de figure qui se représente ou se présente et qu’ils décident selon leur impression.

Autrement dit et c’est paradoxal un entrepreneur fait presque plus confiance à ses premières impressions qu’un peintre ou qu’un artiste.

Pourquoi ?

Parce que dans le monde de l’entreprise il est convenu que les choses se passent ainsi la plupart du temps. Que le succès n’a aucune raison valable et qu’il ne sert à rien de disséquer les choses pour l’expliquer.

En revanche ils passent beaucoup de temps à examiner leurs échecs à les ruminer pour en extraire certains principes et s’améliorer. Ils ne s’enlisent pas dans l’émotion que provoque généralement l’échec chez la plupart d’entre nous, ils l’examinent froidement et en tirent des conséquences pour l’avenir.

Est ce qu’un peintre fait cela ?

Je dirais oui et non en ce qui me concerne.

Oui parce qu’a force d’échec on finit par comprendre comment il arrive la plupart du temps

et non parce que je ne suis pas toujours apte à en extraire la substantifique moelle, parce que je crois que je m’en fous.

Parce que je dois aussi aimer l’ambiance, l’énervement que m’apporte l’échec, parce que l’échec pour moi est une sorte de norme.

Et que le succès est un accident qui me perturberait plus que tout autre incident en fin de compte.

Je n’arrive jamais à me fier à mes premières impressions en peinture concernant mon propre travail.

En revanche je suis tout à fait excellent pour remonter le moral de mes élèves et ce de façon naturelle, spontanée, comme je respire.

Car je sais immédiatement en parler étrangement alors que devant mes toiles, je reste muet.

Sans doute reviendrais je encore sur cette affaire de première impression car il y a encore beaucoup à dire.

Mais trop en dire fatiguerait le lecteur, donnerait une mauvaise impression d’emblée en observant la taille du texte déjà bien assez long.

Une prochaine fois peut-être …

Presque rien

Evidemment je me dépêche de publier ce texte sans même le relire, pour ne pas m’empêtrer à nouveau dans la première impression que ne manquerait pas d’en surgir et ce dès la première ligne, le premier mot.

4 réflexions sur “La première impression en peinture

  1. Bon jour Patrick,
    J’aime bien cette impression du tableau, cela me fait penser à un tsunami qui déferle sur des terres de feux … (étrange impression).
    L’impression est comme un sixième sens que l’on rejette parfois par le fait même d’une société scientiste. L’humain rejeté à l’état de consommateur, de producteur. Résultat les impressions sont mises au placard et le transhumanisme fait état de sa supériorité.
    Bonne journée 🙂
    Max-Louis

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  2. On est toujours si empressé de montrer, faire lire, chanter, jouer l’oeuvre et c’est justement pour la libérer enfin de l’emprise (souffrance?) de l’égo pour la livrer à l’alter et son jugement. Là se trouve la signature finale. Si on esquive cet abandon, on s’abonne à la déception perpétuelle pour toute l’oeuvre dans le sens bien humble du mot et pour certains au triste bonnardage.

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