Par la peinture, une fois les buts traversés comme on traverse des villes, des pays, des illusions, se présente le désert et avec lui une nouvelle frayeur. Disons plutôt la même frayeur débarrassée de tout ce dont on la maquille sans relâche. Disons une frayeur brute.
Peindre alors c’est pénétrer désarmé dans ce désert cette frayeur.
Désarmé parce qu’aucune arme ne sert plus à rien et même entraverait toute progression.
La toile vierge posée sur le chevalet face au peintre il faudrait cette rencontre du désert avec lui-même idéalement.
Mais c’est encore une pensée, quelque chose que je fabrique pour tenter de me débarrasser de la gène que provoque le silence.
On me dira mais où est donc le plaisir dans tout cela ? Pourquoi ne vas tu pas travailler comme tout à chacun à l’usine, au bureau au lieu de nous gonfler avec tes états d’âmes ?
Et à cette question je ne répondrais comme d’habitude que fort mal, c’est à dire que je tenterais de plus en plus maladroitement de légitimiser le fait que je préfère peindre.
De plus en plus maladroitement parce que ce qui compte ce n’est pas de prouver quoique ce soit à quiconque mais à moi-même en premier lieu. Et que j’ai acquis une telle adresse justement à broder et tisser que je pourrais habiller la terre entière pour des décennies.
La maladresse me conduit à la nudité et j’aime ce chemin. Parce que la nudité et le désert offrent grosso modo la même sensation, une fois passée la stupéfaction, le silence.
Et tout alors se joue à la fois au niveau de l’œil comme de l’oreille pour évacuer le bruit, trouver le mélodieux.
Mais avant s’opère une destruction de toutes les images comme de toutes les mélodies.
Non pas qu’une volonté soit à l’œuvre pour détruire.
Ce sont plutôt des pans entiers qui se dissipent comme s’ils n’avaient plus aucune sorte d’utilité.
C’est à dire que l’on devient étranger à l’image comme au son.
Comme un nouveau né qui découvrirait le monde.
Sauf qu’aucune mère aimante, aucun père rassurant ne se trouve à cet instant à ses cotés.
C’est en ce sens que j’évoque le désert. Et aussi ce fantasme accompagné d’une hâte de l’incarner encore une fois en quelqu’un ou quelque chose.
Le désert n’est ni mère ni père, il est seulement cette vastitude dans laquelle on hésite à s’engager, à faire confiance.
Exactement comme la toile vierge.
On trempe alors le pinceau dans la peinture, et quelque chose encore s’offre comme un passage, un sas. Ce temps à mélanger le pigment au liant, au médium est comme une chanson que l’on invente pour se donner du cœur au ventre.
Aspiration, les poumons se remplissent
Puis le pinceau parvient après un voyage dont non ne peut mesurer la durée ni l’origine à la surface de la toile.
L’acte de peindre commence comme la marche du voyageur dans le désert. Aucun chemin n’est indiqué, des sables et des dunes à perte de vue.
Il faut avancer seul.
C’est sans doute pourquoi j’invoque souvent le hasard comme compagnon. Pour tromper ma solitude. Par une sorte d’abracadabra je redeviens primitif et je m’accroche à l’invisible comme cette part de moi dissociée enfouie à laquelle je n’ai pas d’accès sinon par les mots ou plutôt ce qui réside toujours entre les mots.
dissocié coupé en deux je progresse ainsi en gesticulant comme un pantin tiraillé par ce qu’il pense comme par ce qu’il ignore et qui ne cesse d’agir sous la pensée.
Puis enfin après un temps difficile à mesurer à l’horloge arrive ce point particulier du tableau où je suis totalement incapable de dire si c’est bon ou mauvais.
Un point qui si je n’en tiens pas compte entraine irrémédiablement le tableau dans la boue ou dans la séduction.
C’est sans doute ce point que j’ai cherché tout au long de ma vie et dans toutes les circonstances de celle-ci.
Parvenir à déceler enfin sa présence de manière irréfutable.
A cet instant je m’écarte du tableau comme le désert s’écarte sous les pas du voyageur.
Je crois, j’espère, mais je ne peux jamais en être vraiment certain que je me suis enfin déserté.
Et c’est ce doute qui me fait prendre une nouvelle toile, qui me fait reprendre le processus tout entier depuis zéro.
Et là effectivement on pourrait dire que peindre c’est renaitre. Mais cela ne vaut que si on sait la présence du désert.
J’adore ton texte, ton partage d’expériences. Merci Patrick. Ta toile grand format est impressionnante.
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Superbe celle là.
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Merci Luc !
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