Enseigner la peinture.

C’est vraiment la rentrée. La reprise des cours, des ateliers, les longs trajets en voiture pour atteindre les différents lieux, la pluie sur le pare-brise, les embouteillages, les jeunes cons qui jouent la nuit avec les lignes blanches, une certaine forme de solitude également. Ce genre de solitude en groupe.

Comme je n’aime pas me répéter, proposer la même chose d’année en année j’essaie de me voir comme je regarde mes tableaux, à distance, en effectuant quelques pas hors de moi et en plissant les yeux.

Je cherche ces moments où le confort de l’habitude de l’expérience est traitre. Ces sortes de pseudo certitudes qui nous autorisent à penser la même chose invariablement. Comme par exemple je sais et eux non. Ou j’ai le droit de penser que je sais alors qu’ils ne sont encore qu’au stade de l’intuition. N’est ce pas déjà un tout petit peu mieux ? Mais tout de même il y a encore du boulot à faire de mon côté.

J’ai tellement eu de mal avec toute forme d’autorité que je ne peux pas me leurrer lorsque je me vois ainsi empruntant une figure de professeur autrefois tant détestée. Comme quoi la notion de modèle, de mimétisme va se loger loin dans les tréfonds.

Et puis on se rend aussi compte que c’est louche d’avoir tant détesté. Un peu comme avoir aimé par excès, adoré, s’être agenouillé ou prosterné.

Du coup je tente de rectifier, d’être plus abordable. De descendre d’un piédestal purement fictif de toutes parts que ce soit la leur que la mienne. Presque amical, alors que bienveillant suffirait.

Mais ça ne fonctionne pas non plus. Les sentiments n’ont pas grand chose à voir là dedans. A partir du moment où il y a une rétribution, un salaire, il faut faire le job, il faut faire ce pour quoi on est payer avant tout.

Enseigner la peinture.

Se retenir d’assener je ne sais plus quelle vérité sur la peinture, sur l’art surtout. Se méfier de cette facilité avec laquelle les phrases issues des pensées ressassées s’échappent.

Soudain s’apercevoir d’une lueur dans le « je ne sais pas ». Un je ne sais pas dépourvu de crainte, d’angoisse, d’inquiétude, de menace, de ce faisceau d’idées préconçues elles aussi, d’idées refuge.

Un je ne sais pas comme on lève l’ancre au petit matin ou au crépuscule. Quelque chose qu’impulse l’espoir en même temps que la résignation tient la barre.

Que viennent chercher les élèves ?

On finit par se dire toutes les années la même chose sans vraiment revenir là dessus.

Il viennent pour apprendre à dessiner apprendre à peindre voilà tout.

Marcher à coté de soi pour se frotter le dos. Se le répéter : ils viennent ici parce qu’ils imaginent ne pas savoir. Et ils l’imaginent tellement que pour eux cela devient cette réalité.

Trouver le bon point d’intersection entre ta réalité et la leur. Expliquer sans un mot que pour voler ce ne sont pas les ailes qui comptent mais le talon.

Et puis soudain voir le groupe.

Le groupe est une entité invisible durant longtemps tellement on se pense seul à enseigner.

Mais le groupe dépasse tout ce que le professeur peut apporter. Ces synergies invisibles qui peu à peu se mettent en place. Faire confiance au groupe voilà une trouvaille. Quelque chose de véritablement inédit.

Se retenir alors d’en dire trop.

Se retenir de parler, comme d’arpenter l’espace.

Observer le groupe s’enseigner à lui-même. Voir une nouvelle réalité peu à peu se créer ainsi.

Et puis à un moment la question on ne sait plus vraiment qui se la pose… Est ce l’élève ? le professeur ? le groupe ?

Cette question interroge toutes les parties simultanément.

Et le mieux c’est faire la même chose qu’un bijoutier face à une belle pierre. Sertir la question dans un silence. Attendre encore un peu et voir jaillir de ce dernier un Simorgh qui s’élève jusqu’au plafond de la classe.

De retour dans la nuit je me souviens

Sohrawardi décrit ainsi le Simorg dans ‘‘le chant du Simorg’’ :

« Le Simôrgh vole sans bouger et sans ailes…Il est incolore. Son nid est à l’Est et l’Ouest n’en est pas dépourvu…Sa nourriture est le feu… Et les amoureux des secrets du cœur lui confient leurs secrets intimes.  » Razavi 1997, 73).

Espaces Akashiques Huile sur toile Patrick Blanchon 2018

3 réflexions sur “Enseigner la peinture.

  1. Bon jour Patrick,
    Un triptyque : professeur, élève, groupe ? Une entité singulière où tous apprennent des uns des autres pour former cohésion ? Et « professer » est sans nul doute un art ?
    Bonne journée à toi.
    Max-Louis

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