Le génie.

Je viens de me réveiller et comme je n’ai pas du tout envie de tourner en rond comme un derviche, je me suis vite fait un café et je suis venu à l’ordinateur une fois de plus pour laisser filer sur la page blanche de mon traitement de texte favori, les pensées que semblent provoquer l’insomnie.

C’est comme si finalement l’insomnie était un mécanisme parfaitement au point qu’une partie de moi avait soigneusement mis en place pour pouvoir profiter ainsi du calme, du silence de la maison afin d’écrire tout mon saoul, sans déranger personne.

On aurait dit que, et puis voilà.

Ce qui évidemment me ramène illico presto à la notion de génie.

Non pas ce petit génie de rien du tout que serait un être humain comme vous et moi. Vous aurez remarqué j’espère la profusion de petits génies de ce genre dans notre époque formidable…

Non je veux parler du Génie véritable, du daemon Grec.

Cela vous parait sibyllin ? Et bien ça tombe tout à fait au poil car les livres sibyllins existent le saviez vous et ils remontent aux calendes grecques évidemment.

C’est le roi Tarquin le superbe qui les commanda à une Sybille ( voyante si vous préférez ou oracle) afin de pouvoir identifier au mieux le dieu, la déesse que les hommes, dans leur inconscience perpétuelle, avaient eu la malchance de courroucer.

Pour épicer le tout rien de mieux que un ou deux Pontifes pour pontifier à juste titre sur tel ou tel prodige ou catastrophe à l’appui des dits livres.

Une fois le bon dieu identifié rien de plus facile que de choisir l’offrande qui est inscrite dans le bouquin pour atténuer l’ire divine en telle ou telle circonstance.

Un peu comme autrefois le tout en un de ma grand mère. Sauf qu’elle détestait toute velléité de pontifier, ça l’emmerdait royalement. C’était là son génie de préférer se déplacer d’un point à l’autre uniquement en ligne droite et que ce ne fut surtout pas trop long.

Plus on est moderne plus on a la sensation de devenir con, enfin je parle pour moi évidemment, surtout je trouve lorsqu’on découvre soudain qu’il existe un passé, des hommes et des femmes avant nous, que nous ne sommes pas une génération spontanée.

Bon je dis ça parce que j’ai longtemps été moderne avant de devenir vieux tout à coup. C’est à dire que je trouve la modernité complètement idiote surtout quand elle se veut originale, singletone, singulière, progressiste en apparence, mais qu’au fond elle nous réchauffe de vieux plats complètement moisis.

Elle est même dangereuse ces jours-ci puisqu’elle aurait ce pouvoir, bien utilisé par de petits malins, de renvoyer dans la bêtise ou l’infantile une grande partie de la population mondiale. L’infantile c’est la traduction erronée que l’adulte effectue de l’enfance, c’est aussi un bêtise.

Bref je ne vais pas m’étendre là dessus, ça n’arrangerait pas mon insomnie.

Donc j’étais en train de rêver juste avant de me réveiller de deux femmes habillées avec des rideaux quasi transparents comme on en voit sur les vieilles croutes des musées. Un peu tapées tout de mêmes mais encore fort appétissantes et de plus rivalisant de sourires et de cajoleries pour attirer mes sens à leur encontre, tout contre.

Une sensation de langue humide sur mes lèvres persiste encore tandis que j’écris ces lignes.

Encore des succubes ou des incubes qui s’ennuient et qui viennent me chercher pour s’amuser. Ce n’est pas rare du tout dans les rêves savez vous. Et au petit matin si on a la chance de faire sa nuit correctement, et bien on ne s’en souvient pas du tout.

Par contre on se sent juste crevé aussitôt qu’on pose le pied par terre, et dépourvu d’une grande part de soi étrangement. Comme si l’âme qui voyage à travers monts et par vaux s’était égarée et qu’elle n’avait pas pu retrouver le chemin du bercail.

Dans ces cas là je conseille de se recoucher illico si vous n’avez rien de mieux à faire. Le fait de s’endormir à nouveau, même un légère somnolence permet à l’âme de revenir dans le corps et tout refonctionne comme sur des roulettes ensuite.

Reste le Génie qui lui ne semble jamais dormir tout à fait.

Une question qui me taraude depuis des années est la suivante : Est ce que les anciens Grecs pour aussi géniaux qu’on puisse le penser en lisant leur mythologie étaient il conscients de la nature psychologique de leurs récits ? Ont t’ils à dessein personnifier les forces du désir, de la création comme de la destruction qui nous animent en dressant le portrait des dieux, des déesses et de toutes les créatures féériques que l’on y trouve ?

Où bien étaient ils si persuadés de leur existences, ouverts si l’on veut à la pluralité des règnes et des dimensions invisibles à l’oeil nu ce dernier surtout tellement fixé sur un but grivois, ou vulgaire qu’il ne saurait les voir. Sans oublier l’orgueil humain qui ne cesse de s’imaginer le seul à penser, à éprouver des sensations, des émotions sur cette bonne vieille terre.

Cette question est toujours en suspens. Aujourd’hui le Génie et l’Inconscient se confondent souvent. On essaie de plus en plus d’aller vers ce que l’on nomme la « pleine conscience » et qui ne serait rien d’autre qu’une nouvelle forme de conquête de l’inconscient par la conscience.

Or je crois que ça ne se trouve pas sous le sabot d’un cheval. Il faut des années d’entrainement acharné, ou alors devenir suffisamment vieux sans avoir perdu toute sa tête pour comprendre que le Génie ou l’inconscient ne nécessite pas d’être conquérant pour être accessible.

c’est à dire qu’on cherche l’unité, le Génie en opposant d’emblée le conscient et l’inconscient. On part d’un postulat bancal.

J’ai toujours trouvé les gurus suspects car ce que nous pensons généralement d’eux nous arrange, par leur intermédiaire nous déléguons quelque chose de l’ordre de l’espoir comme de la déception. Nous ne sommes plus maitres de nous mêmes nous devenons vides et ils s’engouffrent aussitôt dans ce vide laissé.

Mais ce n’est pas un guru qui doit remplir ce vide, c’est bel et bien le Génie. Et donc comment s’y prendre ?

En vivant sa vie tout simplement.

Il suffit avant tout d’observer les choses, et de pouvoir en conserver la mémoire tout en suivant sa destinée normale quelle qu’elle soit. Puis d’ordonner les bribes en apparence désordonnées de tout un tas d’histoires, d’évènements afin de découvrir soudain un sens inédit qu’on n’aurait jamais pris le temps d’imaginer.

Le Génie alors semble venir à la rescousse pour nous aider à insuffler du sens. D’ailleurs c’est marqué dans des bouquins depuis belle lurette : aide toi et le ciel t’aidera, ou encore charité bien ordonnée commence pas soi même.

Ce sont des phrases que l’on croit comprendre en surface vous savez. C’est tout à fait ça le problème, c’est comme avec certains mots. On croit le savoir. Mais en fait on ne sait rien du tout et on s’égare sur de fausses pistes en raison de cela.

Côtoyer le véritable Génie peut être effrayant, voir terrifiant. On se rend bien compte que l’on ne pèse pas lourd en sa présence. Autant dire que l’on est rien en face de lui. Autant dire qu’il faut n’être rien aussi pour qu’il puisse s’emparer alors de soi par la plume ou le pinceau, la parole ou l’acte.

C’est la contrepartie sans doute. Accepter le vide, le rien, pour que quelque chose soudain par la loi des vases communicants le remplisse.

Maintenant peut on avoir le moindre contrôle tout de même sur ce qui soudain s’empare de nous ? C’est la peur principale que nous avons toujours d’être berné ou floué.

Un truc alors pour vous aider à vous calmer dans ces cas là c’est de se souvenir que le besoin de contrôler provient de la peur tout simplement. Pas seulement une peur consciente mais aussi inconsciente, viscérale.

Il ne s’agit pas de fuir la peur, ou de l’ignorer, d’être téméraire, il s’agit de l’observer pour ce qu’elle est : une croyance qui va de paire avec l’idée du manque, de la séparation, croyances auxquelles nous obéissons sans les remettre en question. Et surtout parce que nous sommes obsédés par le faire … qu’est ce que je vais faire Que faut il faire etc alors qu’en fait on devrait plus se dire qui est ce que je veux être, la réponse c’est je veux être heureux, en paix rien de plus fondamentalement. tout le monde veut être heureux même ceux qui font tout pour ne pas l’être. tout ça n’est rien d’autre qu’un jeu que nous avons choisi de jouer. Et c’est tellement bien fichu que nous avons même oublié que tout cela n’était qu’un jeu.

Le Génie finalement c’est toi et moi c’est tout le monde c’est ce qui devient évident lorsqu’on additionne la somme de toutes les parties.

Maintenant on parle aussi de bon et de mauvais Génie, mais ce n’est encore qu’une vue de l’esprit qui se croit séparé de quelque chose, on peut appeler cette chose amour encore que peux d’entre nous y compris moi-même ne sachions ce que ce mot veut dire vraiment.

Pour finir et révéler le Génie qui a toujours été là, celui tel que je le vois de mieux en mieux chaque jour je vous propose un mantra que vous pourrez vous répéter en boucle durant quelques dizaines d’années au besoin :

Rien de réel ne peut être menacé, rien d’irréel n’existe.

Cette citation provient d’un livre que je revisite régulièrement  » a course in miracle » Ce n’est pas un livre religieux, c’est un livre sur la conscience et il m’a beaucoup aidé ces dernières années à me souvenir de qui je suis vraiment.

huile sur toile Patrick Blanchon 2019