S’il n’y a pas de « petit » lieu pour exposer il y a certainement plusieurs façons d’attribuer de l’importance à la façon d’accrocher ses œuvres. A un moment donné du parcours j’avoue que je ne m’en souciais pas. J’enchainais les expositions notamment avant la pandémie, et force est de constater en revenant dans mes souvenirs que souvent c’était pour moi une sorte de corvée.
Ce n’était pas dû aux différents lieux, mais plutôt à une zone de confort dans laquelle je me réfugiais. Car souvent les œuvres exposées ne me disaient plus rien, elles dataient de périodes enfouies et que j’aurais aimé oublier plus profondément encore.
C’est cette zone de confort et ce malaise vis à vis de la perception de mon travail qui me conduisait à prendre parfois « par dessus la jambe » certaines expositions.
A ces moments là il fallait faire le job et accumuler une quantité impressionnante de toiles sur les murs pour épater le visiteur potentiel d’une certaine façon, prouver que j’étais bel et bien un peintre. A ces moments là même l’idée d’être un artiste m’échappait totalement.
Et puis parfois aussi le manque d’argent, l’accumulation des factures, les appels répétés des banquiers, des huissiers me conduisaient souvent à n’avoir comme but que la vente. C’est dire qu’une exposition réussie était alors une exposition où j’avais vendu et une exposition ratée était lorsque je repartais bredouille.
Sans doute est-ce pour cette raison que je n’ai jamais vraiment fait de publicité, je n’ai jamais voulu mettre en avant toutes ces expositions. Mes sentiments négatifs prenaient le pas sur la richesse que chacune malgré tout m’avait apporté. Notamment les rencontres, les avis que certains visiteurs un peu plus loquaces que d’autres m’avaient confié sur ce travail.
Car parallèlement j’étais obsédé par l’idée de chercher quelque chose que je ne parvenais pas à trouver. Sans doute parce que confusément je ne tenais pas à le trouver. Je m’empêchais tout simplement l’accès à cette zone que j’estimais suspecte, dangereuse. On pourrait appeler cela le lâcher prise , la confiance totale, l’amour, et la liste n’est sans doute pas exhaustive pour tenter de nommer cette « chose ».
J’avais tellement rapetissé dans une idée de perte et de gain que j’étais comme scindé en deux. Dans mon atelier j’étais un géant et dans ces expositions j’étais un nain. je ne parvenais pas à faire la soudure entre les deux.
De plus les avis négatifs, comme l’indifférence du public me touchait de plein fouet. Je continuais néanmoins à afficher un sourire comme si cela n’avait aucune espèce d’importance. C’est dire à quel point on peut se tromper d’idée d’importance sur le chemin.
Ce qui m’a permit de tenir c’est à la fois l’orgueil et le fait d’abandonner les métiers alimentaires, de parvenir à être « sans filet » financièrement. C’était à l’époque une vraie folie. Mais je me rendais compte tout à coup que je ne pouvais rien faire d’autre que d’être tout entier dans la peinture.
J’avais déplacé ce personnage omniprésent dans ma vie, celui qui de toutes façons allait « réussir » un jour dans de multiples domaines déjà. Que ce soit la chanson, la photographie, une carrière de cadre, l’écriture, et pour finir la peinture.
J’ai toujours rêvé que j’allais réussir quoiqu’il se passerait jusqu’à la cinquantaine, et même un peu plus.
C’est à la soixantaine que le principe de réalité m’est finalement tombé dessus. Et que je me suis réveillé de ce long rêve.
Rien d’amer là dedans tout au contraire. L’orgueil peu à peu avait fait son travail de sape et avait détruit quasiment toutes mes chances les unes après les autres. Ce que j’imaginais être des chances.
C’est là où je me rends compte que peindre n’améliore pas seulement les tableaux au cours des années mais soi-même.
Le regard s’améliore sur beaucoup de choses que l’on ne voyait pas d’ordinaire.
Cet élan vers une forme de lâcher prise, jusque là j’appelais cela faire confiance au hasard et j’avais concentré celle-ci désormais uniquement sur l’espace de la toile.
Je n’arrivais pas à faire le lien avec ma vie toute entière qui ne m’apparaissait finalement comme une somme de non sens, de déboires, d’échecs. Du reste si je peignais c’était pour oublier tout ce désordre que j’avais traversé ou tenter confusément d’en rendre compte maladroitement pensais je. J’essayais d’extraire de l’ordre, de la beauté de ce désordre sans vraiment le savoir.
Parfois cela semblait fonctionner et on me disait j’adore cette toile, c’est beau, d’autre fois cela ne semblait pas fonctionner et soi on ne me disait rien soi en tendant l’oreille je récoltais quelques réflexions pas toujours agréables.
Je me souviens d’une femme âgée dont la posture arrogante m’avait fait suivre tous ses déplacements en catimini dans une exposition en Haute Savoie.
Parvenue devant une toile que j’estimais être une de mes œuvres majeures, voici qu’elle lâche à la personne qui l’accompagnait » Mon Dieu comme c’est plat » . C’était en gros comme si on m’avait planté un couteau dans le dos ni plus ni moins. A la fois de la douleur, et de la colère.
J’ai bien sur repensé mille fois à cette anecdote et tout ce que j’en retire désormais c’est ce manque de confiance en moi à cette époque. Confiance dans les circonstances aussi car j’aurais alors du réagir vis à vis de cette personne sans doute, aller vers elle, lui parler, simplement donner mon opinion de peintre sans rien attendre en retour.
Mais j’étais comme je l’ai dit axé sur les ventes. Celle ci c’était certain n’achèterait rien il fallait juste patienter suffisamment pour qu’elle déguerpisse.
Voilà l’homme.
Quant au peintre il se tord encore les doigts. Tout simplement parce qu’il a laissé filer une occasion de partager quelque chose d’important, si difficile à nommer.
Ce que voulait dire cette femme à propos de la platitude qu’elle ressentait de mon travail j’aurais du la prendre dans mes bras car elle avait tout à fait raison. C’était plat car tout entier dans la couche apparente lisse et vernie. C’était plat car séduisant uniquement. Combien d’éléments nouveaux j’aurais alors pu récolter en ayant une bonne conversation avec cette femme qu’intérieurement j’affublais de sobriquets, de clichés moi qui ne cesse de protester justement contre tout cela ?
Tout et son contraire. L’homme et le peintre.
Et cette bagarre perpétuelle entre les deux pour savoir qui va avoir raison. Cette apparente perte de temps qui s’appelle aussi la vie, cette apparente perte de temps sans laquelle pourtant nous ne pourrions rien apprendre, rien comprendre, marcher tout simplement à coté de notre propre existence.
Un ami aime raconter des blagues. Et il me dit souvent à chaque fois que nous nous voyons: Avec ton épouse que préfère tu ? avoir raison ou être heureux ?
Cela me fait toujours rire cela nous fait toujours rire. Nous restons dans cette connivence d’homme un moment. C’est souvent suivi d’un court silence. Comme lorsqu’on avale une lampée d’eau de vie. Faut savourer ce genre de moment.
Avoir raison ou être heureux. N’est ce pas la question la plus importante de toutes à certain moment de notre vie ?
Cela va très loin. Cela signifie que la raison n’est pas nécessaire pour pénétrer dans la joie, dans l’amour, pour aller vers les autres.
Cela ne sert même à rien d’être « raisonnable » pour monter une exposition, cela ne sert à rien d’être raisonnable en se disant que tout est basé sur le fait de vendre ses œuvres pour bouffer. Tout cela ne sert strictement à rien. tout cela ne rend pas heureux. Et c’est totalement vrai.
Même les expositions où j’ai estimé avoir réussi mon coup en vendant parfois plusieurs toiles me laissent désormais une amertume. Parce que je sais à présent que je n’étais pas dans l’état d’esprit pour être heureux. Je voulais avoir raison avec l’idée que je m’étais forgée : vendre tout simplement. La réussite n’était basée que là dessus.
Je peux mesurer à quel point cet état d’esprit s’est modifié désormais. Pour cette exposition à la fin du mois à aucun moment je n’ai pensé durant la préparation à vouloir vendre quoique ce soit. C’est presque suspect.
Mais non en fait je suis préoccupé par autre chose tout simplement, je mets tout en œuvre je crois pour favoriser cet instant où seul dans les salles de ce grand centre culturel je vais devoir faire confiance pour accrocher mes toiles. Je crois que c’est plus cela l’enjeu véritable pour moi de ce genre d’exposition. Et j’en mesurerais sans doute le résultat non pas à la raison, aux ventes, aux félicitations ni aux critiques mais seulement à l’évolution de mon impeccabilité entre ces deux mots : « chercher et trouver ».

« Dans mon atelier j’étais un géant et dans ces expositions j’étais un nain. je ne parvenais pas à faire la soudure entre les deux. » J’aime beaucoup cette image !
J’ai beaucoup aimé lire ton texte et comprends tellement bien la toute finalité, la mise en place de l’exposition … tout en étant simplement présent ! C’est peut être là que l’amour s’impose….. de par lui même.
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Passionnant vraiment, super inspirant 🙂 hésites pas à venir faire un tour sur mon site Intel-blog.fr et à t’abonner si ça te plaît 😀
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Bon jour Patrick,
En te lisant, je me disais pourquoi les écrivains, auteurs.es et autres littérateurs n’exposent pas des pages en format A1 (par exemple) des ouvrages qu’ils vendent …
Note : toujours pas de paquet … 😦
Max-Louis
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