Avoir la foi

J’ai toujours trouvé cette expression bizarre  » Avoir la foi » ou « posséder la foi ». C’est étrange le pouvoir des mots. C’est souvent inconscient. Quelque chose cloche, on ne sait pas vraiment quoi tant qu’on ne s’arrête pas dessus vraiment.

Avoir la foi ce serait donc posséder un pouvoir en quelque sorte qui te permettrait de tout traverser sans gravité vraiment parce que tu serais certain qu’au bout t’attend quelque chose. Pour certains un paradis peuplé de vierges, d’anges, de magnifiques paysages, d’êtres chers que l’on retrouve… Pour d’autre la gloire, la richesse, la réussite, Pour d’autres encore la sérénité, la joie, l’amour absolu…

Autant de concepts qui sont finalement limités à l’imagination humaine lorsqu’on y réfléchit, et surtout à bon nombre de frustrations que l’on s’engage à supporter dans l’espoir que cet investissement rapporte des intérêts.

Avoir la foi dans ces conditions ne ressemble t’il pas à un placement en bourse ?

Pour en revenir à cette exposition que je prépare puis je parler de foi vraiment ? Est ce que j’ai cette foi là, est ce que je la possède vraiment ?

Parfois j’observe à quel point je suis tenté par le fait de pouvoir l’obtenir. De pouvoir être assuré, rassuré. Mais je résiste à cette tentation bien sur et je laisse toujours le doute reprendre le dessus. Le doute et le diable si l’on veut qui comme chacun le sait se loge dans les détails.

En ce moment je suis obsédé littéralement par la notion de détail. Je scrute chaque toile à la recherche du défaut, du petit poc, d’un embu qui ressortirait comme une mèche rebelle. En fait je cherche le fameux bâton pour me faire battre.

Qu’est ce que ça veut dire exposer un tableau sur lequel on verrait un défaut ? Qu’est ce que je me dit ? Qu’est ce que je pense que les gens diront alors ?

Ce n’est pas sérieux, ce n’est pas professionnel, ce n’est pas suffisamment « clean » pour que ce soit un produit « vendable ».

Comme quoi on n’est tout de même tenu par quelques règles de base. Sans lesquelles on imaginerait « perdre la face ».

On peut aussi penser au respect envers le public. Présenter des choses impeccables pour ne pas le heurter.

Autant de détails sur lesquels mon regard s’accroche dans le doute parce que justement je me refuse à posséder la foi.

Parce que ce qui compte le plus c’est d’être tout simplement ce que je suis, sans masquer quoique ce soit.

C’est dangereux si le but est de faire du chiffre d’affaire.

Mais c’est aussi extrêmement libérateur de se dire : Bon j’ai vu toutes les imperfections, j’ai passé en revue tous les défauts et maintenant qu’est ce que je vais faire de tout cela ?

Les planquer ?

Ou bien justement m’en servir pour dire qui je suis ?

Et tant pis au final pour tout ce que l’on pourra dire j’aurais vraiment fait le job.

Le cheminement intellectuel ne débouche généralement que sur des impasses concernant les croyances. Sans doute parce que la croyance est la base à partir de laquelle nous pensons.

Au bout du compte on tourne en rond dans le doute et c’est une sorte de confort équivalent à celui qu’offre la foi.

Ni l’un ni l’autre ou bien les deux en même temps ?

On ne peut le penser en amont ni vivre l’intuition du moment avant de s’y trouver confronté.

Il faut juste être là. Etre vraiment là au moment où je me retrouve seul face aux murs blancs avec mes tableaux déballés

Il faut que les murs blancs soient exactement comme une peinture que je réalise au hasard et sans penser à rien.

Que j’accroche mes toiles comme je pose des touches en aveugle.

Puis enfin prendre du recul et comprendre ce que j’ai fait.

Comprendre ce n’est pas construire un discours encore.

C’est surtout du domaine de l’émotion.

Est ce que ça me touche ?

La foi si elle existe ne peut advenir que de la même façon que la grâce. En acceptant totalement l’ennui comme le corridor à traverser sans y penser, sans espérer rien de défini, sans tirer le moindre plan sur la comète.

C’est par l’ennui et une certaine fatigue, en s’engouffrant tout entier dans le vide que le miracle advient.

Mais tu vois bien que je puisse le dire, l’écrire et que cela se soit répété mille fois dans ma vie, je ne peux toujours pas dire que j’ai la foi.

Je ne possède rien d’autre que l’instant dans lequel je suis.

Techniques mixtes Patrick Blanchon Collection privée.

2 réflexions sur “Avoir la foi

  1. Merci, Patrick, pour ce billet que j’aurais aimé écrire tellement vos mots parlent les miens. Je m’installe tous les jours à ma table d’écriture. Pas une seule fois je n’échappe à l’effroi d’y être confrontée et à la grâce de m’y abandonner.
    Au fait, je suis jalouse de vous qui peignez! 😉😅

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