Arrive un moment où je surprends mon reflet dans la glace et ne me reconnais pas. Cette inadvertance effrayante puis salutaire.
Un soulagement comme lorsqu’on se réveille d’un rêve absurde, un soulagement qui dure quelques secondes avant de replonger dans un autre rêve tout aussi absurde.
Mais ce court laps de temps est amplement suffisant, une fois son étrangeté dissipée, pour laisser place à une paix incongrue. Une paix qui, elle aussi, surgit par inadvertance.
C’est dans cet entre deux que je me suis souvenu du livre du rire et de l’oubli de Kundera.
C’est drôle parce que ça a l’air de tomber comme un cheveu dans la soupe.
Mais je ne suis plus à une incongruité de plus.
Et tout de suite après j’ai repensé à toutes mes admirations anciennes et je me suis demandé ce que j’avais bien pu en faire, où donc elles étaient passées ?
C’est comme ces histoires d’amour achevées.
Lorsqu’on les vit on n’imagine pas qu’elles s’achèvent, qu’on puisse les oublier, que l’on puisse oublier jusqu’ au prénom de l’être aimé, n’est-ce pas effrayant cela aussi ? et apaisant tout en même temps.
Admirer et oublier, ainsi vont les choses tranquillement.
Et je ne vois aucune raison désormais pour s’en plaindre vraiment, aucune récrimination particulière, il ne reste au bout du compte que la solitude et cette étrange paix une fois le sas de la peur traversé.
C’est que finalement cette peur est la dernière cartouche que l’on tente d’amorcer pour se rassembler dans une solidité, dans une volonté qui, soudain démasquées, ne recèlent ni plus ni moins de mystère, de signification qu’un réflexe animal.
Sans doute est-ce pour cette raison que je n’arrive pas à me rendormir. Il faut absolument que je me lève, que j’aille à la cuisine pour lancer un café, tout en tournant en rond comme une toupie en attendant l’écoulement complet.
Une transe pour sortir du sommeil, pour prolonger la sensation d’étrangeté, pour observer aussi cette peur et cette paix entremêlées.
C’est comme un fil sur lequel je tire ainsi et qui me dévoile des pans tout entier d’une réalité que je ne vois pas durant la veille ordinaire.
A cet instant et à condition que je n’éprouve aucune douleur articulaire, je ne suis rien d’autre qu’une conscience se rendant compte de son rôle d’estafette.
Le gros de la troupe est dans les limbes, dans une inconscience magistrale dont la suite infinie des opérations traitées est proprement pharamineuse. Je n’ai qu’à coller mon oreille contre les murs pour entendre tout le cliquetis, une usine qui jamais ne dort.
Ce qui à mon sens nécessite ce morceau de sucre dont je ne peux me passer, ce demi sucre nécessaire pour atténuer toutes les amertumes et donner un léger coup de fouet chimique aux synapses comme aux neurones.
Enfin, la première gorgée avalée la question revient comme un refrain : qu’est ce que j’ai fichu de toutes ces admirations d’autrefois ? Où sont elles passées ? et avec cela cette tristesse soudaine qui ressurgit comme un caniche qui saute mécaniquement pour saluer son maitre.
La tristesse et la peur voici ce qui enferme dans une identité, voici à quoi on ne cesse jamais de faire appel comme pour accumuler des preuves à charge dans un procès qui ne s’achève pas vraiment non plus.
Mais je suis moi, j’ai peur, je suis triste donc je suis !
J’adorais lire aussi Panaït Israti. Sans plus savoir dans mon souvenir dans quel lieu s’effectue la lecture. Je ne me souviens que de l’horizontalité du corps, je devais donc être dans un lit, étendu dans une chambre ou bien sur l’herbe d’une pelouse quelque part mais je ne me souviens plus non plus où et quand.
Je ne me souviens presque plus déjà des titres, des rebondissements de l’histoire, de la trame toute entière… il n’y a plus que ces deux mots Kyra Kyralina et puis quelque chose de diffus tout autour, une atmosphère, une ambiance. L’odeur de tabac froid et du café qui coule encore quelque part. Et encore de la peur et encore de la tristesse qui réunit toutes ces bribes dans une familiarité devenue suspecte.
Je peux citer pourtant tous ces écrivains, sans réfléchir beaucoup. Comme si tout ce que j’ai lu d’eux était depuis lors comme engrammé dans leur nom seulement. Toutes ces atmosphères toutes ces ambiances de lecture et les synesthésies s’y associant mystérieusement mais de façon anarchique, sans logique véritable.
Borges et son Aleph, ce voyageur en quête du pays des immortels, et sa déception surtout en l’atteignant. En découvrant l’ineptie apparente dans laquelle un ennui formidable plonge ses habitants.
Il est là aussi question d’un renoncement à toute forme d’admiration entrainant une chute interminable dans cet ennui. Mais ce n’est encore que moi qui ait compris cela qui l’ait interprété. Peut-être n’est ce même pas de l’ennui. C’est un oubli permanent et une absence totale de question.
Ceci expliquant cela.
Jeune je ne pouvais me passer un seul instant d’admirer quelque chose. Admirer me rassemblait durant un temps avant qu’irrémédiablement je ne me dissolve.
Ce n’était pas le sujet d’admiration le plus important comprenez vous ? C’était l’admiration en tant que remède à une sorte d’oubli quasi congénital.
Je n’arrive plus à me rendormir je crois que j’y ai renoncé progressivement en soupesant le pour et le contre. Grace à l’insomnie comprenez vous j’ai l’impression de résister à l’érosion tout en sachant que c’est peine perdue d’avance.
J’écris en ne cessant de me souvenir que dans 1000 ans tout le monde aura oublié Cervantes, Homère, Dante et moi-même.
Ce qui une fois l’appréhension toute entière traversée, comme une nuit, apporte aussi un sacré, un mystérieux soulagement.
« La tristesse et la peur voici ce qui enferme dans une identité, voici à quoi on ne cesse jamais de faire appel comme pour accumuler des preuves à charge dans un procès qui ne s’achève pas vraiment non plus.
Mais je suis moi, j’ai peur, je suis triste donc je suis ! »
C’est dit, enfin.
Bouleversant!
Merci.
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Bon jour Patrick,
« … dans 1000 ans tout le monde aura oublié Cervantes, Homère, Dante et moi-même… » ce n’est pas dit … tandis que dans 10 000 ans ou 100 000 ans … ( à confirmer) 🙂
Bonne soirée 🙂
Max-Louis
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