Avancer, reculer, recommencer.

L’art est un labyrinthe dont le but est nécessairement l’égarement. Sinon à quoi bon y pénétrer ?

Et quand bien même placerait-t’ on un minotaure comme prétexte à l’action il ne serait rien à proportion de ce que produit la perte de repères.

Le héros s’affrontant lui-même intéresse t’il encore qui que ce soit, mis à part les enfants amateurs de contes et de légendes ?

Quand Hercule se rend compte qu’aucune de ses armes ne peut entamer le cuir du lion de Némée il l’enlace dans une sorte de danse qui oscille entre l’étouffement et l’accolade.

Récupérer ensuite la peau du lion une fois vaincu, et s’en revêtir, l’arborer sans pour autant parader est le prémisse que quelque chose enfin s’est passé, que l’histoire débute réellement, celle de l’artiste qui a enfin compris la nécessité de « sauter par dessus lui-même » pour reprendre la formule de Paul Klee parlant du gris.

La traversée d’un miroir, est toujours quelque chose qui tient à la fois de l’ordinaire et du miracle.

Ordinaire parce qu’autrefois cela s’apprenait à l’adolescence au travers de rituels que l’on pouvait considérer à l’âge adulte comme « banals ».

Miracle dans notre monde moderne où justement on fait à peu près tout pour que cette traversée ne s’effectue plus, pour conserver le plus longtemps possible l’homme dans une enfance égocentrée.

Bien sur on peut se rendre à l’école, à l’université pour apprendre quelque chose sur l’art. Surtout tout ce qui tourne autour de celui-ci comme un récit tourne autour d’une absence.

Bien sur le savoir remplit comme la denrée le réfrigérateur et produit une illusion d’autorité. Tout juste de quoi alimenter la conversation, écrire des livres, remplir les rayons des librairies, des bibliothèques, écrire des articles de blogue.

Mais cette autorité ne produit guère d’impact sur l’individu isolé , l’artiste, qui intuitivement sent bien qu’il faut effectuer un pas dans le vide et que le moindre filet ne sert à rien, qu’il n’est que perte de temps.

L’artiste aujourd’hui est un individu isolé. Ce n’a pas toujours été le cas et nous avons encore parfois l’impression que cet isolement est une posture provenant d’une époque révolue teintée de « romantisme ». L’artiste soit disant « maudit » de par cette nécessité d’isolement contre laquelle il ne peut rien tant qu’il n’a pas franchi le Rubicon- se dépasser, dépasser sa petite personne, ce qui souvent l’entraine à se rapprocher du plus ordinaire des hommes, à perdre d’un coté sa propre idée d’importance pour de l’autre découvrir l’immensité de son ignorance.

Tout commence avec cette immensité là. Avec cet infini des possibles tenu dans un regard qui ne cille plus.

Ce qui se passe ensuite, pour un regard profane tient de la folie, de l’inepte, du ridicule, comme de l’admirable. Les mots eux-mêmes manqueront pour qualifier l’action effectuée par l’artiste.

Pourtant cette action est simple, elle ne tient qu’en deux mots : Avancer, reculer, recommencer.

Ce que l’on perçoit alors c’est une nouvelle vision du chaos qui d’ailleurs ne peut plus se nommer ainsi. L’artiste se rend compte qu’il a franchi une frontière lorsqu’il n’a plus besoin d’ordre pour se référer au chaos, et vice versa.

Cette immensité de l’ignorance clairement entrevue s’accompagne simultanément d’une connaissance de la clarté qui ne sert à rien, parfaitement inutile car elle ne produit rien en tant que telle.

On peut alors comprendre pourquoi tant d’artistes, de peintres auront représenté des croix, des crucifixions. Ce n’est pas tellement pour célébrer un événement qui du reste n’a pas vraiment de raison de l’être, que d’énoncer ce qu’est véritablement la Passion humaine crucifiée, mais en même temps tenant temps et lieu de carrefour.

Juste un point de repère dans le labyrinthe à partir duquel on continue, on avance, on recule, sur le chemin de la connaissance de ce qu’est l’art.

4 réflexions sur “Avancer, reculer, recommencer.

  1. Bon jour Patrick,
    Un triste constat … et d’un autre côté une lucidité … alors, l’artiste passe-t-il son temps à tourner en rond dans sa cage à chercher une sortie ? d’où : « …L’art est un labyrinthe… » Et je me pose la question de : l’artiste une vie perdue ? Ou l’artiste a-t-il plus de chance de s’en sortir que les autres mortels ? Toutes les directions de vie se ressemblent, mais quel but atteindre si ce n’est de combler toujours des vides qui se construisent ? L’artiste serait-il simplement un maçon pour combler ses (ces) vides ? Aurait-il peur de son ombre par la lumière d’un possible vide ? L’art comme élément de perdition ?
    Bonne journée 🙂
    Max-Louis

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    1. Bonjour Max-Louis et merci pour ton commentaire. Est ce si triste que cela ? Est ce lucide ? Tout est à prendre avec des pincettes évidemment … s’égarer peut aussi être un plaisir comme être seul une fois un paquet de petits soucis traversés;) bonne journée à toi 😉

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