Emotion

Cette inconnue qui monte dans le wagon et s’installe en vis à vis, ce n’est pas tant elle que ce trouble qui le préoccupe. Une agitation qui croît et qui devient incontrôlable. Un malaise, une gêne, un conflit entre ce qu’il pense et ce qu’il est. Une avidité à priori qu’il se dépêche de classer dans l’imaginaire, pour ne pas parler trop vite d’interdit.

De l’appétit ? Avec la salivation abondante qui accompagne la vision d’un bon plat accessible ?

Accessible ? Il faut voir, revenir au raisonnable, à ce fameux bon sens.

Effleurer du regard la plasticité en quête d’un je ne sais quoi qui serait encore caché sous l’ostentatoire ? Est ce que l’on parle ici des vêtements ou bien de la chair, et au delà de cette dernière d’une température ? Saignante bleue ou à point ?

Regarder le paysage tout à coup pour se délivrer. Pour fuir. Et soudain se retrouver encore plus gêné d’apercevoir le reflet. Un reflet qui profite de l’inattention affichée de l’un pour laisser une ouverture à l’autre ?

Fixer un point alors sur le mur du fond et respirer profondément, ne plus penser à rien. Se laisser bercer emporter par le roulis, s’attarder sur l’insignifiant, se laisser envahir tout entier par les rythmes des éternuements toussements raclements de gorge, jambes qui se croisent et se décroisent, froissement du papier journal ou magazine.

Et les odeurs qui par les narines nous ramènent en ce point central de l’émoi.

Une fragrance épicée qui révèle encore plus loin l’intime. Fleur écartelée obscurcissant la raison par sa clarté.

Quelques stations plus loin l’inconnue se lève lentement comme à regret. Il faudrait bondir à cet instant précis dire quelque chose, une banalité. Mais non rien. Il reste là comme un voyeur se contentant de vivre l’émotion pauvre, cette peau de chagrin qui fabrique du regret déjà alors que l’infini se trouvait là à portée de voix.

Que faire de cette émotion désormais de cette honte ? De ces regrets ?

Un vieil homme debout au fond attire son regard. Il ne semble pas chercher à être plus ou moins qu’il est, solidement campé sur ses deux jambes.

Je voudrais être comme celui là, un roc se dit il.

Puis il sourit en descendant de la rame à son tour, le voyage n’a pas été inutile, après tout il s’est laissé emporter par l’émotion, comme le sable se détache des rochers emporté par les vents de la Toussaint.

Je suis cela aussi et bien d’autres choses encore certainement pense t’il comme s’il atteignait avec soulagement la terre ferme.

Lorsque la sonnette retentit les portes se refermèrent comme une parenthèse qui en lui s’ouvrait vers une phrase de Bardamu le héros du Voyage au bout de la nuit de Céline “ l’amour c’est l’infini à la portée des caniches”

Il se rassura ainsi quelques instants ainsi puis il sautilla en jappant vers la sortie.

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