Le thème

Je n’ai jamais été vraiment fort en thème. Je veux parler du prétexte selon lequel il faudrait peindre toute une accumulation de tableaux autour d’une même idée. Le thème m’ennuie généralement assez vite parce que j’ai l’impression de patiner dans la semoule. Et puis surtout parce qu’il m’a toujours semblé être une fausse bonne idée.

En vérité j’ai toujours eu cette sorte d’intuition que le thème en peinture appartenait à quelque chose de révolu. Je ne me sens pas de peindre des champs de batailles, des sacres, pas plus que des naufrages. Je rechigne à dessiner des divinités avec des cornes des queues et des sabots. Arranger des pots, des faisans ou des lapins crevés avec des ciboires, des verres à pied et accessoirement une tête de mort sur une nappe pour en extraire une nature morte, une vanité, me navre. Et pour les paysages qu’ils peignent la campagne bucolique, la ville désormais tentaculaire, où la sombre ruelle crasseuse, les bras m’en tombent aussi rien que de les imaginer.

Parfois j’ai été tellement navré de ne pas pouvoir m’accrocher plus de 10 mn à cette idée de thème que je me suis dit que je devrais changer mon fusil d’épaule, me lancer dans l’épicerie ou le proxénétisme et abandonner tout bonnement mes prétentions picturales.

Cependant comme j’anime des ateliers de peinture, il faut bien que je réponde à la demande.

J’ai donc inventé des trucs loufoques que j’ai appelé « thèmes » à seule fin de satisfaire la demande.

Il y eut ainsi pèle-mêle :

Le vide et le plein en peinture

L’ordre et le désordre en peinture

Le gribouillis source vive en dessin

Dessine ta grand-mère de mémoire ( et comme cela fonctionnait plutôt pas mal, j’ai décliné avec le grand-père, le frère, la sœur, les parents et les cousins…)

Mais au bout d’un certain temps tous ces thèmes ont finit par me lasser eux-aussi.

Pourquoi ? parce premièrement c’est une affaire de répétition, je trouverais insupportable de toujours manger des moules tous les dimanches, même si j’adore. Ou du poulet, ou du sauté de mouton, ou même de cassoulet que je vénère. Notamment la recette du cassoulet de 3 jours de Pierre Perret. Un peu onéreux en consommation de gaz par les temps qui courent, mais bon.

C’est le problème du genre la répétition, c’est elle qui produit l’ennui, puis le dégout et enfin la dépression.

Donc pour cette année et ayant la chance de tomber sur un nouveau groupe d’élèves dans une nouvelle structure je me suis évidemment posé la question cruciale du thème que j’allais leur donner.

L’âge moyen tourne autour de la soixantaine pour être gentil. Heureusement le prof qu’elles ont eu avant moi avait déjà largement débroussaillé le terrain. Ce n’était pas la peine de leur parler de petites fleurs, de petits oiseaux, de toutes façons je suis toujours extrêmement maladroit lorsque je me mets à aborder ce genre de sujets.

Du coup je me suis creusé la tête durant le premier trimestre où je leur ai donné un certain nombre d’exercices afin que nous parlions tous la même langue en ce qui concerne les valeurs, le contraste, la composition, et les couleurs.

Et donc nous voici au bord du second trimestre et il me faut ce fameux thème.

Et si nous essayions l’érotisme en peinture j’ai dit tout de go, juste après le café de la dernière séance.

Il y eut un silence puis un bruissement comme lorsque le vent se lève sur un champs de luzerne, les dames ont reporté plusieurs fois le poids de leur corps d’une jambe l’autre puis ça s’est agité merveilleusement.

Oh oui la plupart ont dit.

Sauf une ou deux qui semblaient gênées.

Pour les mettre à l’aise car je ne voulais pas qu’il puisse y avoir de malentendu j’ai ajouté.

Vous inquiétez pas ça va très bien se passer, l’érotisme ça ne consiste pas à peindre des bites et des chattes en gros plan sur du coton ou du lin, c’est juste une façon d’employer le pinceau, la touche et les couleurs principalement.

Si vous vous concentrer un peu il n’est pas difficile de rendre un pot de chambre érotique, ou bien un paysage champêtre, ou encore un quartier de bœuf, ou un rideau. Tout est dans l’intention de départ.

Il est très bon ce café, c’est possible d’en avoir une autre tasse ?

Un grand soulagement a soudain envahi la pièce j’ai senti mais quelqu’un a tout de même dit : Et si on veut peindre une bite c’est possible tout de même ou pas ?

Oui mais on risque de retomber sur le thème peindre de mémoire. Ce qui a déclenché l’hilarité générale.

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