L’égarement

Ce monde est un enfer où tous les buts sont des démons. « Amour », « richesse », « savoir », « paix » sont les pancartes publicitaires qui nous assènent leurs slogans tout au long des autoroutes et nous payons cher les péages pour nous apercevoir en fin de parcours que tous ces mots ne sont qu’illusions.

l’illusion mène à tous les égarements.

On pourrait même dire que cet égarement est un but dont nul ne parle. Un secret se crée à notre insu.

J’étais dans ma période mystique soufi entre 20 et 30 ans juste après avoir expérimenté tout ce qui pouvait ressembler de près ou de loin à de la compulsion: Le bouddhisme, la mescaline, le lsd, et la bière à haute dose, et pour finir la masturbation qu’on appelle aussi la veuve poignet, le café du pauvre et probablement encore de nombreux vocables dont je ne me souviens plus.

Incidemment tous mes buts s’étaient dirigés vers le bas. Et enfin j’y étais parvenu, j’étais presque plus bas que terre, si tant est que cette expression suffise à décrire vraiment la situation. Car plus bas que terre cela signifie la tombe.

J’étais tombé. Et de plus j’avais tout fait pour expérimenter les dures lois de la gravité. Quelque chose d’insistant, une volonté farouche dans le mauvais sens des choses. Sauf que je ne voulais pas vraiment me suicider. A chaque fois que j’y pensais j’éludais la question, je remettais à plus tard comme une possibilité de libération absolue et définitive. Cela me faisait un bien fou d’ailleurs d’imaginer que je pouvais décider du moment de mourir. Comme si toute mon impuissance chronique s’évanouissait soudain dissoute par cette hypothèse lumineuse.

Mais bien sur ce n’était encore qu’une illusion. J’avais lu Durkheim. Et je savais que le suicide ne serait pas de mon propre fait même si je me défenestrais, m’ouvrais les veines, me pendais, m’empoisonnais à la mort au rat, à l’eau de javel, rien de tout cela ne serait jamais totalement de mon propre fait.

Ce ne serait jamais que la pression extérieure agissant à l’intérieur, deux forces contraires qui s’opposent et dont l’une irrémédiablement l’emporte.

Le fait de me retrouver nez à nez avec cette impossibilité sur le plan intellectuel avait achevé de me dévaster.

Que me restait il donc ? Rien.

Sauf la marche à pied.

Lorsque je repense à cette période, je revois tous les lieux, je peux retrouver toutes les atmosphères, l’odeur des saisons et moi marchant à l’intérieur de cette bulle. Marchant à perdre haleine du matin au soir, où sitôt que je pouvais me libérer de tout ce temps à sacrifier aux jobs purement alimentaires.

Je ne prenais pas les transports publics, je sillonnais la ville de part en part comme un amant le corps de l’aimée.

Paris à cette époque était cette inconnue toujours renouvelée que ma misère, ma pauvreté comme des luminions des lanternes ne cessait d’éclairer d’ombres et de lumières vacillantes.

J’errais de quartier en quartier, du plus pauvre au plus riche, des immeubles haussmanniens dans la béance des boulevards à l’intimité épicée des ruelles crasseuses de la Goutte d’or

Et je ne peux pas me le cacher aujourd’hui, j’étais heureux.

Au fond même de mon désespoir, de ma pauvreté je jure que j’étais heureux.

Je n’étais pas heureux pour une raison spéciale. J’étais heureux pour rien, par le seul fait d’être encore en vie après toutes ces expériences traversées.

Peu à peu l’épaisseur de mon cœur, de ma cervelle devenaient perméables, et lorsqu’au printemps j’arrivais au Jardin du Luxembourg je restais de longues heures à contempler les fleurs avec lesquelles j’entretenais de longues conversations silencieuses.

J’étais parvenu enfin à m’égarer ainsi qu’il le faut c’est à dire sans se raccrocher à la fébrilité à l’excitation, à la colère, pour tenter de maintenir en soi une quelconque unité.

Je ne parvenais plus à utiliser ce ciment là, il ne valait plus un pet de lapin.

Je respirais le ciel la vastitude de celui-ci, je respirais le bruit de la ville comme un battement de cœur rejoignant le mien, je respirais vraiment. Ou plutôt ça respirait car je s’absentait comme si toutes ces immensités qui avaient pénétré par les sens avaient fait un ménage extraordinaire.

La difficulté de l’égarement, j’ai pu m’en rendre compte une fois que j’eus retrouvé mes esprits, la difficulté majeure, c’est qu’il est du même niveau que tout bonheur, toute grâce, il est temporaire.

Les contingences sont à maudire ou à bénir comme on le voudra- mieux vaut les bénir je crois-mais ce sont toujours elles qui nous extirpent de l’égarement total, de la folie possible vers laquelle inexorablement celui ci nous conduira, à moins que ce ne soit vers un quelconque monastère ou asile psychiatrique.

Aujourd’hui mes égarements se limitent qu’à quelques écarts de langage et à la réalisation de tableaux et aussi à une drôle de manière d’enseigner ce que je crois avoir compris en matière de peinture.

Je dis drôle parce que je tente d’être divertissant en égarant mes élèves sur des sentiers qu’ils n’auraient pas imaginé emprunter bien souvent.

Parfois même j’ai peur de me prendre un peu trop au sérieux, alors je fais l’idiot, je plaisante , je monte sur les tables et je fais le pitre, je les égare concernant cette notion d’autorité qu’un élève place dans son professeur. Je ne cherche pas le rendement. Il y a déjà eu beaucoup de chutes, des cris, des pleurs, des claquements de porte.

Je m’en fiche. J’ai mérité cette place , je l’ai acceptée comme j’ai accepté à peu près tout de ce chemin que j’ai suivi et qui mène à l’égarement total. Certain y verront de l’orgueil, de la vanité, et ce sera normal il n’y a absolument aucune raison pour que quelqu’un d’autre que le voyageur comprenne le chemin du voyageur.

D’ailleurs le voyageur se soucie t’il de sa destination ? Il la connait d’avance depuis le plus profond du temps mais celle-ci lui est devenue imprononçable.

Quelques photographies des travaux d’élèves, hier durant un stage. C’est la suite du travail sur les formes à extraire d’une image de paysage. Cette fois ci les élèves ont peint plusieurs feuilles qu’ils ont mis en commun ensuite pour les découper et ajuster les fameuses formes sur un format raisin.

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