Lettre du front.

Au travers la tendresse de la mère il recevait des nouvelles d’un champs de bataille, comme ces lettres que les gars des tranchées recevaient, qu’ils s’efforçaient de croire sincères mais qui, dans les pires moments de la guerre, n’étaient comme tout le reste qu’un tissu de mensonges, quelque chose qui mettait en cause tous les attachements. Quelque chose dont il fallait extraire une force cependant et qui faute de mot se résumait à l’inutile.

Il alluma une énième cigarette sur laquelle il tira comme un nourrisson affamé. La fumée envahit son palais, sa gorge, ses poumons, et c’était déjà une tentative inconsciente, se disait-il, de se recomposer un corps, probablement une tentative qui s’achèverait dans l’échec, c’est à dire dans l’imaginaire.

Lorsqu’il en parvenait à ce point particulier de la lucidité, l’attachement surgissait, il ne pouvait l’ignorer. L’attachement, le port d’attache, toutes ces conneries.

Alors il revoyait les yeux gris bleus, plongeait en eux pour s’y dissoudre en quête du mystère, qui, lorsqu’il était à deux doigts de parvenir à l’élucider, s’évanouissait.

La mère détournait le regard, et ce faisant disparaissait-elle aussi.

Tout disparaissait.

L’enfant restait seul, il ne savait plus quoi faire de cette tentative d’attachement une fois de plus avortée.

Il ne lui restait que la colère, la haine, la peur, autant de monstres qu’il plaçait comme des gardiens sur le seuil du néant, à la fois pour marquer la frontière de celui-ci, pour être certain de ne pas louper l’entrée, et aussi pour s’interdire d’en ressortir.

Cette confusion des langues, cette cacophonie permanente obligeait l’enfant, paradoxalement, à se réfugier dans la tendresse comme dans une forteresse.

S’y replier pour ne plus subir les assauts d’un anéantissement qu’on tentait de lui administrer jour après jour afin qu’il s’habitue à une forme de désespérance encore plus grande.

La désespérance de la mère débordait au delà d’elle-même sur l’univers des adultes en général comme sur l’univers tout entier.

Rester physiquement au même niveau que la mère lui était à la fois doux et douloureux.

Il fallait qu’il grimpe de toute urgence sur les branches d’un arbre, ou qu’il s’enterre dans un trou. C’était plus fort que lui, c’était sa façon de survivre, ou tout au moins de récupérer un peu de force.

Il pouvait rester des heures ainsi perché dans les arbres ou enseveli.

Ces heures qui paraissaient être une éternité et en même temps rien, une simple respiration.

Changer de niveau ainsi lui permettait-t ‘il de rêver échapper au temps, à toutes les contingences que la peur de le perdre ne cessait d’inventer.

Une fois encore l’image d’une mitrailleuse fauchant les gars des deux camps adverses dans un même amas sanguinolent d’os et de chairs se représenta.

Il alluma une autre cigarette et la journée s’étendit devant lui contenant comme toujours la même possibilité d’espoir et d’anéantissement.

Toute la violence, cette peine, ce chagrin, qu’il éprouvait quelques minutes auparavant s’envolait en volutes bleutées dans l’air froid de la nuit, il pensa à un évier qui se vidait, à ce tourbillon joyeux de l’eau se ruant vers le siphon.

La tendresse se représenta à nouveau évidemment, mais il lui fit un doigt d’honneur.

Puis une fois la porte de l’atelier refermée derrière lui il s’installa face à la toile qu’il avait commencé quelques jours plus tôt, un visage de femme totalement imaginaire évidemment. Car toute ressemblance avec un être déjà vu le ramenait invariablement à l impossible, à la blessure, à la béance.

huile sur Toile Patrick Blanchon 2021 ( détruite)

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