Une place pour chaque chose

Un poème est comme un tableau. Tant que chaque mot n’est pas à sa place, chaque valeur à la sienne quelque chose-appelons cela une gène-conduit à un recommencement.

Il faut avoir l’ouïe fine pour entrer tout entier dans cette gène. Et ici « tout entier » n’est certainement pas du au hasard, d’ailleurs les deux sont intimement liés. Hasard et gène, les deux termes d’une équation à deux inconnues dont la résolution mène au centre de l’unité. Cette unité où l’on devine plus que l’on ne comprend que chaque chose est enfin à sa place.

Bien sur l’œil compte, mécaniquement, l’œil compte. Mais à lui seul il ne peut rien résoudre. Pas plus que la cervelle seule ne compte.

L’information d’un désordre pénètre par le nerf optique et rejoint la matière grise, mais ces deux étapes à elles seules conduisent seulement à une périphérie. A la prise de conscience de cette périphérie.

Que faire une fois cette prise de conscience effectuée ?

Tenter de sauter plus avant, au-delà du cercle et s’enfoncer dans l’errance, dans l’inconnu ?

Rejoindre le centre ?

Le périmètre pose la question.

Car ce cercle que l’on devine, cette image de cercle, à quel moment sait-on jamais quelle est correcte ?

Quelle est la taille réelle du cercle ? Celle-ci est t’elle aussi vaste que l’imagination ? Ou au contraire ne se résume t’elle pas dans le choix d’une taille de rayon, d’une décision ?

C’est la question d’une vie.

Quelle taille attribuer à ce cercle qui ne peut se concrétiser que par une somme d’actions finalement.

Si imaginatif, rêveur, soyons-nous toute périphérie nous échappera sans relâche.

« Une place pour chaque chose, chaque chose à sa place », c’est l’ordre auquel nous avons droit mais ce n’est pas le but en soi.

Ce n’est qu’une étape après beaucoup d’étapes traversées.

Mais ce n’est toujours pas le but en soi.

Beaucoup s’arrêtent ici. Ils disent : enfin nous avons trouvé la frontière, nous savons la taille du cercle, nous connaissons le périmètre.

Et quelque chose les emporte, les arrache à la terre et au ciel. Dans une ignorance plus grande que jamais. Une ignorance bâtie de certitudes.

Ce n’est pas comme ça que ça fonctionne. Ca ne reste que sur le plan d’une image et l’image n’est pas le principe qui la crée.

La résistance à la certitude d’où qu’elle surgisse semble plus dynamique et peu importe qu’elle nous conduise à sauter par dessus le périmètre vers l’extérieur ou l’intérieur, cette résistance là mène à un centre de toutes manières.

Voici l’idée sous la forme d’un texte jeté soit disant au hasard comme une esquisse où celui qui écrit apparait encore trop.

Où celui qui écrit dit je, c’est moi.

Où je ne suis pas à ma place et où je suis tout de même à une place.

Deux états encore pas tout à fait confondus en un.

« Pas tout à fait », « presque », ce sont des expressions de la résistance pour donner à la vie sa chance.

Sinon à quoi tout cela servirait-t ‘il ?

Le poème est comme le tableau.

A sa lecture chacun est seul face à lui-même, la perfection que nous leur attribuons est toujours à la mesure du rayon de nos doutes comme de nos certitudes.

Mais à chaque fois le cercle pénètre l’espace du cœur et le cœur rejoint son centre.

Ce sont des préoccupations comme celles-ci qui m’entravent souvent et que d’aucuns jugeraient à la mesure des peccadilles.

Et ils auraient parfaitement raison de leur point de vue.