Je suis ce que je suis

Hier je tombe sur Peter Tosh, enfin pas sur lui le pauvre, sur une de ses chansons. I am that i am (1977).

Je devais être dans ma 17ème année lorsque ce morceau s’est introduit tout à fait fortuitement dans mes oreilles.

J’étais plutôt Brassens, Ferré, Brel, c’est à dire que j’avais besoin encore la plupart du temps de comprendre les paroles des chansons. Et comme je n’étais pas bien finaud à l’époque je croyais encore que parler anglais c’était parler français à l’envers.

Donc « i am that i am » j’ai essayé 5 minutes de comprendre de quoi il s’agissait sous la douche en balbutiant , puis j’ai laissé tomber.

Moi je voulais être chanteur. Je jouais de la guitare dans les rues pour payer ma piaule; manger, et vaguement poursuivre des études. Je voulais être quelqu’un d’autre que celui que j’étais.

Je ne me souviens plus trop de ce qui avait motivé ma décision. Probablement quelque chose d’assez vague comme toujours, l’ambiance.

Je m’imaginais chanteur passant à la télé, les filles, les projecteurs, mon père cassé en deux par la gloire qui frappait de plein fouet son rejeton. Surtout ça certainement, faire chier mon paternel ce devait le but caché.

D’ailleurs je ne suis jamais devenu chanteur. Comme quoi, même caché, un but foireux reste un but foireux.

On ne dira jamais assez comme l’adolescence est une période redoutable. Elle est redoutable surtout parce qu’on ne sait jamais quand ça va se terminer. Je veux parler de ce mal-être permanent, les boutons d’acné, les jeans trop serrés, les basquettes qui schlinguent, et toutes les idées à la con qui ne cessent de traverser une cervelle en devenir.

Les rares survivants du naufrage font une croix sur les nombreux rêves qui les auront tenus en haleine durant une période indéfinie elle aussi, avant de s’engager dans une existence dite « normale » adjectif qui s’associe encore souvent pour moi, aux mots tristesse, renoncement, médiocrité.

Je suis ce que je suis, peut se comprendre de milles façons différentes selon l’âge, la vitesse du vent, l’hygrométrie de l’air, et ce que l’on vient d’avaler au petit déjeuner.

Car ce que je suis, qui le sait jamais vraiment ? La plupart du temps on croit le savoir, on s’invente tout un tas de choses là dessus, au besoin on en remet des couches, on utilise la méthode Coué pour implémenter un super programme, sauf qu’on n’est jamais à l’abri des bugs.

Le principe de réalité nous décoiffe. C’est d’ailleurs comme ça que j’ai perdu un grand nombre de cheveux jusqu’à les porter au plus court désormais.

Mais à 17 on est loin d’être sérieux, évidemment, on confond beaucoup de choses même les paroles des chanteurs anglo saxons ou jamaïquains. On comprend à l’envers bien des choses notamment ce fameux je suis ce que je suis qui d’ailleurs s’y prête drôlement bien.

Cela ressemble à une sorte de slogan, à une revendication qui la plupart du temps produit un sentiment contraire comme je ne veux surtout pas être ça. Seulement ça.

On projette qui l’on croit être sur toutes les vitrines des boutiques, en se recoiffant, se réajustant.

On devrait se rendre compte combien cela devient une sorte de reflexe, quelque chose de répétitif, d’addictif, ça devrait nous mettre la puce à l’oreille. Douter ainsi de sa propre image perpétuellement, tout de même…

Aujourd’hui on ne se regarde plus dans les vitrines comme avant, je veux dire les jeunes, ils ont tous les yeux rivés sur des écrans, sur les réseaux, mais globalement je me dis que c’est la même chose.

Il y a ces influenceuses, influenceurs, auxquels nombreux rêvent de ressembler. Et ils font des efforts insensés bien souvent pour avoir l’air. Jusqu’à ce que le fameux principe de réalité leur tombe sur le paletot, parfois ça arrive tardivement, vers la quarantaine ou la cinquantaine même.

Tout ça pourquoi ? on se le demande des fois, mais comme ça fait mal au crâne comme un lendemain de cuite, on avale un doliprane, on allume la télé et on s’endort dans un sommeil sans rêve.

J’étais à ce point de mon texte quand je me suis assoupi devant la télé d’ailleurs, ça m’arrive d’écrire comme ça devant la télé, je coupe le son je regarde les images défiler comme une vache les trains, et je tape sur le clavier amovible de l’IPad.

C’est la chatte qui m’a réveillé en grattant à la baie vitrée. Elle avait fait sa virée sur les toits alentours, peut-être avait elle échangé quelques miaulements et feulements avec un ou deux matous du quartier, mais là elle en avait assez, ça se voyait, elle n’aspirait qu’à rentrer dans l’atelier, à avaler quelques croquettes et retrouver son fauteuil pour passer la nuit.

Est ce que les animaux se demandent qui ils sont ? ça m’étonnerait bien, ils sont bien trop intelligents pour perdre du temps avec ce genre de conneries.

Photographie de Lola ma chatte 3 couleurs