Reprendre un tableau, reprendre un texte, repriser les chaussettes. Pourquoi ? Parce que quelque chose ne va pas, parce que c’est insuffisant, parce que ça ne suffit pas. Parce qu’il faut une raison.
Parce que pour certaines choses ça ne coule pas de source. Parce qu’un obstacle se dresse face au fluide, qu’on ne voit pas l’aveuglement crée par le reflet.
Deux heures cette nuit sur un texte et voilà que ça ne donne rien.
Il reste inachevé.
Surtout à partir du moment où je touche son centre névralgique et que le reflux m’en éloigne.
Diversion, digression, divagation.
L’écriture et la peinture ont ceci en commun qu’il faut être un fin chasseur, patient pour apercevoir ce centre sans qu’il nous surprenne. Faire semblant de ne pas l’avoir trop vu. Amadouer la peur comme la fuite et l’urgence toute la violence qui entoure ce centre.
Apprendre à rester de glace au beau milieu du feu. Fondre doucement.
Aujourd’hui c’est le 8 décembre et je connais déjà ce qui va mobiliser l’esprit de mon épouse à partir de 17 heures approximativement. Ce moment où désormais la nuit tombe.
Elle me demandera d’attraper le carton où sont rangés tous les petits verres et les bougies. Et puis comme chaque année à cette période elle voudra que je l’aide à les déposer, ces petites flammes vacillantes, sur les rebords des fenêtres de la maison.
Il y a eu des années où c’était une corvée. Ma tête était farcie de tant de choses qu’il n’y avait pas de place pour ce rituel. Je râlais. Encore tes bougies à la con, tu sais qu’on est les seuls ici dans ce trou du cul de village à les allumer, nous ne sommes plus à Lyon, tu as remarqué ?
Elle tient bon. Le 8 c’est les bougies, tu la boucles et tu m’aides c’est comme ça.
Et je finis toujours par la boucler puis je me brûle régulièrement les doigts à allumer tous ces foutus lampions avec un briquet. Depuis le temps j’aurais pu trouver une solution, prendre un allume gaz par exemple, mais non. Il faut que je souffre pour apprendre, c’est ainsi.
Mais une fois que toutes les bougies sont allumées, comment dire … comment dire quelque chose qui ne soit pas totalement stupide pour quelqu’un comme moi…
Je suis content.
Je suis content de voir toutes ces bougies aux fenêtres. Le sale gamin s’efface pour laisser apparaitre le bon. Celui qui s’enthousiasme d’un rien. Celui à qui je dois la plupart de mes déboires parce que trop sensible, tellement qu’il a fallu qu’il crée cette carapace de sale gamin pour se protéger.
Chaque 8 décembre depuis maintenant presque 20 ans grosso modo c’est le même scénario.
Je commence par râler, puis j’obéis. Je sais que ça lui fait plaisir. Et qu’au bout du compte ça nous fait plaisir, ça nous rapproche chaque année un tout petit peu plus je crois.
Elle reste tellement ferme dans ce qu’elle est mon épouse. Elle ne dévie pas.
C’est sa manière de gérer la violence du monde, comme beaucoup de femmes d’ailleurs.
Répéter les mêmes choses à dates régulières pour recréer quelque chose qui, et ce malgré tant d’efforts pour ne pas me l’avouer, est en relation avec le magique.
C’est cela la véritable église, le vrai temple, de petits gestes que l’on s’attache à reproduire et qui paraissent dérisoires pour les ignorants. Pour les démunis qui ne savent rien des raisons de leur violence.
Pour ceux qui jettent leurs chaussettes n’importe où qui ne les reprisent plus, ne les reprisent jamais.

Elle a tellement raison !
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Je la comprends et vous comprends aussi : râler d’abord mais finalement être content.
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