
Je regarde à gauche, je regarde à droite et hop voilà, ni vu ni connu, j’ai mis la grande enveloppe dans une boite postale de la rue Custine. Cela c’est passé le 17 juillet 1988 à 21h15. Puis je suis allé me bourrer la gueule comme tous les soirs à cette époque. Je n’avais plus rien à perdre, enfin presque, il me restait encore un tout petit peu d’illusion concernant mon talent d’écrivain. Je crois que j’ai décidé d’en finir avec ça aussi ce soir là.
C’était un vrai manuscrit, je n’avais même plus de machine à écrire, j’avais refilé ma Remington au clou pour avoir de quoi me payer encore quelques verres. Il y avait plusieurs semaines de ça et depuis j’écrivais tout à la main sur des feuilles A4 que j’empilais les unes sur les autres sans trop me relire comme d’habitude.
Et puis un soir je me suis assis sur mon pieu, les cafards me laissaient un peu de répit, sans doute parce que l’épicerie africaine d’en dessous était fermée pour congés annuels, et j’ai relu mon manuscrit.
A ce moment là je me suis dit que j’avais deux solutions. Soit je le brûlais dans le lavabo en faisant couler l’eau pou évacuer les cendres, soit je le mettais sous pli tel quel pour l’envoyer chez Gallimard.
Comme j’avais vraiment cette volonté de n’avoir plus rien à perdre j’ai choisi la seconde solution.
Je m’en foutais totalement je crois et d’ailleurs heureusement, car je n’ai, à ce jour, jamais reçu la moindre réponse de cette prestigieuse maison d’édition.
Cependant je crois que ça m’a libéré de quelque chose qui peut se rapprocher, grosso modo, de la peur du ridicule.
Un peu comme tout ce que je publie depuis deux ans désormais sur ce blogue.
Je crois qu’il suffit simplement d’oser vraiment traverser cette peur là, d’affronter son propre ridicule pour y parvenir en fin de compte.
Et persévérer ensuite, ce qui est évidemment le plus important de toute l’affaire.
Persévérer en sachant qu’il n’y a pas vraiment d’espoir, que la réalité n’en dispense jamais qu’au compte goutte et selon notre faim et notre soif, des versions inédites de ce que représentent vraiment nos espérances.
Je crois aussi avoir été un petit malin à plusieurs moments de ma vie en tentant d’inventer des trucs, un genre de martingale qui permettrait de remporter le jack pot à tire larigot.
Et le pire c’est que j’y suis parvenu de nombreuses fois. Ce n’était pas de la chance vraiment, car tous les gains obtenus il aura fallu à chaque fois que je les rembourse au centuple.
Mais j’ai la tête dure, je me cassais la gueule brutalement, je me retrouvais seul comme un rat et ma seule solution était de faire des pompes comme un taulard pour conserver mon élasticité ou l’acquérir je ne sais plus très bien.
Cette affaire de me prendre pour un écrivain, il fallait que j’aille jusqu’au bout, dans l’espoir sans doute qu’elle me quitte un jour comme un enfant lâche la main d’un adulte, comme ça sans y penser.
J’y suis parvenu un jour. J’ai tout réussi finalement dans cette vie, tout ce que je désirais profondément.
Pour l’amour ou par amour peu importe comment.
Un jour j’ai posé mon stylo et j’ai dit aller ça suffit.
Et puis un jour je l’ai repris à nouveau parce que sans doute tout n’était pas complètement réglé comme je le croyais. Parce que tout au fond de moi je ne pouvais m’empêcher encore et encore de vouloir faire le malin.
Parce que cette malignité avait aussi quelque chose à dire et qu’elle me ferait imploser si je n’abdiquais pas pour de bon.
Pour la peinture c’est à peu près la même chose.
Est-ce que je peins pour les autres ?
Non.
Est-ce que j’écris pour les autres ?
Non.
Je peins et j’écris probablement parce que je ne suis pas suffisamment courageux pour être un tueur à gages voilà tout.
Les jours filent de plus en plus en plus rapidement, l’âge me rattrape, il faudrait que je sois raisonnable sans doute une fois encore dans ma vie. Que je me taise maintenant puisque j’ai permis à cette part bizarre de moi, à cette malignité de s’exprimer bien plus que de raison.
Arrêter d’écrire et de peindre juste pour voir ce qui reste encore de ce que j’appelle « moi » et dont il m’apparait souvent qu’il ne restera pas grand chose si je perdais tout ça.
Encore une peur à franchir sans doute, une nouvelle aventure à tenter, traverser encore une muraille de plomb.
Me détacher de l’arbre que j’ai planté et qui n’a plus besoin d’être arrosé.
Ainsi vont les choses dans cette justesse que j’aime tant. De toutes manières, un jour ou l’autre nous perdrons tout, ou le peu qui reste encore.
Mais je sais aussi que ces moments de faiblesse, comme les moments de puissance, ne durent pas, ils sont éphémères. Demain une nouvelle pensée naitra, une nouvelle idée et il faudra lui donner vie par la peinture ou par l’écrit, il faut accepter de n’être que ce tuyau par lequel les choses invisibles à l’œil nu nous traversent.
Accepter le changement permanent, jouer avec celui-ci, le célébrer, c’est sans doute cela le vrai courage , car que pouvons nous bien faire d’autre de plus intéressant? Je me le demande toujours. Je me le demanderai surement jusqu’au bout comme un gamin heureux d’apercevoir enfin une limite, tremblant d’être enfin certain, complètement certain enfin, de sa propre impuissance.
« De l’audace encore de l’audace toujours de l’audace » disait mon vieux qu’avait été parachutiste de métier. Une phrase comme celle-ci, quand on y croit, peut certainement aider dans la vie. C’est difficile de croire, enfin pour moi car beaucoup croient comme ils respirent.
On voudrait faire des choses étonnantes pour obtenir quelques miettes de fierté paternelle. Avec mon vieux ça n’allait jamais, tout ce que j’ai tenté ça n’a jamais été. Il disait toujours mais tu rêves, réveille-toi.
Pour lui la réussite sociale, matérielle, financière ce n’était pas de la gnognotte. Il est parti de zéro et a connu plusieurs guerres ce qui n’a certainement pas arrangé sa vision de l’humanité en général. Il se faisait une opinion en quelques secondes à peine d’une femme, d’un homme, d’un enfant, et il ne revenait jamais sur cette opinion, c’était plié définitivement.
Je crois que j’ai tout essayé sur des terrains inconnus de lui, pour recueillir des miettes qui ne sont en vérité jamais tombé de sa bouche. Il mangeait proprement et s’essuyait de nombreuses fois lors des repas de famille pantagruéliques qu’il nous mijotait.
Je lui en ai voulu toute mon enfance et mon adolescence et puis ensuite les choses se sont tassées, on ne change pas les gens.
En revanche on peut changer son point de vue sur les gens pour s’en sortir un peu mieux.
A la fin des fins il aura été un maitre extrêmement exigeant et dur à la fois envers lui-même comme pour moi. L’émotion ne l’étouffait pas alors que moi je suis sans cesse envahi par elle, justement pour comprendre sans doute la peur qu’elle provoque chez la plupart des hommes de ces anciennes générations et encore des nouvelles.
C’est un combat tout aussi terrible finalement que d’aller faire carrière, de fonder une famille, d’élever des enfants. Au bout d’un certain temps on comprend que tout se vaut. Que la notion de réussite est changeante comme le temps, le climat, et aussi par rapport à tout ce que l’on s’invente comme histoire pour tenter de donner du sens à cette vie.
Certainement que dans la vacuité finale tout cela s’assemble, se pèse, s’équilibre ou s’annule et il n’y a rien de grave, de triste ou de joyeux à tout cela.
Nous sommes très peu éveillés vraiment nous nous mouvons au centre même du rêve sans relâche.
être conscient qu’il s’agit d’un rêve est une forme de réussite si l’on veut.
C’est une réussite qui ne sert cependant strictement à rien et c’est sans doute là sa beauté.
Une fois j’ai osé vraiment me heurter à un principe de réalité et je suis parvenu à survivre à la dévastation que j’avais moi-même crée de toutes pièces.
Mais survivre c’est encore facile, vivre c’est autre chose.
Une fois mon épouse m’a emmené à la patinoire de la place Bellecour, elle adore faire du patin à glace. Moi je n’en avais jamais fait de ma vie. Il m’a fallu de l’audace aussi pour me lancer sur la glace et ça n’a pas loupé je me suis cassé la figure séance tenante et à répétition. Disons 4 ou 5 fois. Et puis j’ai dis stop, je suis trop vieux pour ces conneries j’ai dit.
Je crains ça, devenir vieux au point de ne plus oser faire aucune connerie.
Et c’est sans doute parce que je le crains que j’en fais de moins en moins. Je ne fais plus les mêmes conneries, ce qui ne m’empêche pas d’en inventer de nouvelles, des inédites. Faire des conneries, ce que les gens autour appellent des conneries tellement souvent que ça finit par vous pénétrer sous la forme d’un monologue permet d’apprendre beaucoup sur la maladresse.
Maladresse, mauvaise adresse, comme par exemple adresser un torchon à Gallimard. Cela permet de réfléchir en creux sur ce que pourrait être l’adresse, enfin si on ne veut pas se tromper une fois de plus bien sur. Sinon on peut oser tant qu’on voudra, l’audace ne remplace pas la réflexion je crois même que ce sont deux états diamétralement opposés assez souvent.
Quoique on peut aussi réfléchir un brin avant d’oser, ça ne doit pas être très loin d’une définition acceptable du talent.
Un blog c’est sa maison, porte ouverte aux autres. Éditer…c’est entrer dans une danse qui nous appartient moins. Il y a la dedans une question de reconnaissance en effet. Mais à notre âge, à quoi bon.
Vous allez me donner envie de le remettre à la peinture.
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Merci pour la lecture et le commentaire Jean-Marc. Au début je dois avouer que je n’ai pas songé qu’un blog était une maison ouverte à tous vents. J’ai refusé d’y penser je crois. Pour pouvoir écrire et me libérer de toutes ces choses accaparantes que je ne peux hélas pas exprimer autrement. Pas même par la peinture. Il y a au travers tout cela un aveu d’impuissance que je formule progressivement à l’auteur au travers de tous ces narrateurs successifs et souvent baroques, incohérents. C’est que l’incohérence je veux l’entendre chanter, remonter à sa source, attaché à ce blog. L’équipage quant à lui a été prié de se boucher les oreilles et de s’amarrer solidement. Ce que nous attendons tous, on ne le sait pas. Est-ce l’autodestruction des sirènes fachées qu’on ait découvert le pot au roses ? Ou bien l’évanouissement final fait-il apparaitre autre chose d’inédit ? je n’en sais rien, et je me demande si je désire vraiment le savoir. Je suis en train de lire justement un poème de votre blog, une affaire de banc vert. Je le lis et le relis car il y a beaucoup à l’intérieur, c’est très riche de cette pauvreté que j’apprécie chez les auteurs de poésie pas neuneu. Bonne journée à vous
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