
Richard me ressert un coup de Payse puis se renverse dans son Voltaire.
— tu sais il y a un point commun entre la jeunesse et la vieillesse, il dit, les jeunes en général ne savent pas ce qu’ils veulent, et les vieux ne veulent plus grand chose sauf la paix.
Puis il me toise comme il sait le faire lorsqu’il a une chose importante à me dire.
— Est-ce que tu sais ce que tu veux ? il me demande.
— Finir mon verre de Payse et aller me coucher je dis pour faire le malin.
Mais ça ne le fait pas rire et je reste comme un con à siroter ma piquette en maintenant ma posture de crâneur.
— Depuis que je te connais j’ai un peu fait le tour me dit Richard, un coup tu veux être chanteur, un autre tu veux écrire des romans, et un autre encore tu veux être navigateur… tout ça ne me parait pas bien carré .
— tu veux dire que je ne tourne pas rond Richard ?
— Si tu arrêtais de faire le mariole et que tu écoutais ce que je dis, un de ces quatre tu vas tomber sur un os tu verras, tu ne pourras plus te défiler aussi facilement. Tu crois tromper qui avec tes pirouettes ? Pas moi en tous cas.
Je me demande ce que j’ai encore fait pour qu’il prenne la mouche. Et puis ça me les brise de me demander, du coup je repose le verre sur la table et je dis:
— bon moi tu sais la philo ça me gonfle le boudin et puis t’es pas mon père. Heureusement d’ailleurs. Regarde-toi t’es devenu un vieux con qui joue les prophètes et t’es même pas capable de te couper les ongles de pied tout seul.
Et je suis parti tranquillement sans me retourner ce soir là. J’ai pas fait comme d’habitude c’est à dire ce petit signe de la main quand j’arrive dans la rue Quincampoix et que je regarde là haut ses fenêtres et sa vieille tronche qui dépasse des géraniums.
Il était tard, peut-être 2h du matin, il n’y avait plus de métro et j’ai décidé de remonter toute la rue de Rivoli à pince pour rejoindre la Bastille et mon gourbi au septième étage de la banque de France. L’eusse tu cru ?
Un petit vent désagréable contre lequel aller m’a gâché la promenade. Et j’ai évidemment ressassé.
— Qu’est ce que tu veux vraiment. Cette phrase de Richard m’a obsédé longtemps je crois, des semaines, des mois, des années. Je n’ai jamais pu répondre à celle-ci de façon définitive. Sans doute parce que tout ce que j’ai voulu je ne l’ai voulu que provisoirement tant la notion de provisoire se colle à mon existence toute entière.
Hier je voulais ça, le lendemain autre chose, j’ai toujours eu de la peine à tisser quelque chose de solide entre tous ces désiderata. Une étoffe qui me tiendrait au chaud et qui enfin me rassurerait, donnerait un sens à ma vie comme on dit désormais.
Il y a pourtant des volontés récurrentes et contre lesquelles je ne peux rien. Ces volontés proviennent de je ne sais où. D’une partie secrète dans laquelle la lucidité comme la conscience ne peuvent pénétrer.
Cela n’a pas été simple de l’accepter. Que les seules volontés auxquelles j’étais forcé plus ou moins d’obéir appartenaient à ce qui est « plus fort que moi ». J’en ai vu 36 chandelles, et de toutes les couleurs pour commencer à m’approcher du pot aux roses.
Mais ce que moi je voulais pour moi, je crois que je suis totalement passé à côté. Ce que je voulais pour moi n’était que de l’éphémère et du vent, il n’y avait pas grand chose de substantiel là dedans. Et par ricochet j’ai beaucoup envié les gens auxquels cet éphémère, ce rien suffisait.
Cette sensation d’être toujours à la marge de ce que tout le monde appelle la norme, il m’aura aussi fallu des années pour comprendre qu’elle n’était qu’une illusion nécessaire pour m’égarer en moi justement, « faire le tour » comme disait Richard, comme on fait un tour de manège, de chevaux de bois.
Mais dans le fond du fond tout ce que je voulais c’était me raconter des histoires. Me les raconter d’abord à moi-même dans le menu, avec force détails et précision pour voir comment j’étais capable de me leurrer tout seul. Avant toute chose je cherchais une bonne histoire plutôt qu’une bonne vie.
A quoi donc tout ça servirait-il ? je ne pouvais pas encore vraiment le savoir à l’époque, j’étais tellement dans le flou, le fameux flou artistique.
Aujourd’hui je ne suis pas sur d’y voir vraiment plus clair. Je veux dire maintenant que je suis devenu ce qu’il faut bien appeler un homme agé.
je repense à cette phrase de Richard et je me sens tout à fait capable de la dire, moi aussi, à présent comme on raconte une bonne histoire un soir entre amis.
— vous savez, et je me renverse dans mon fauteuil aller, il y a un point commun entre la jeunesse et la vieillesse, les jeunes en général ne savent pas ce qu’ils veulent, et les vieux ne veulent plus grand chose d’autre que la paix, ils ont oublié tout le reste ou à peu près.
De bonnes interrogations bien posées ! Une très belle écriture (mais ce n’est pas nouveau !).
PS : par contre, je n’ai pas compris, là : …je me renverse dans mon fauteuil aller… ? aller ?
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et bien je n’ai pas encore atteint l’âge vénérable de Richard, je n’ai pas de Voltaire non plus, mais je peux me renverser en arrière sur mon fauteuil de bureau pour considérer tout cela et me dire aller, aller ou le déclarer comme ça dans le vent 😉
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Je ne dois pas avoir toutes les connections ce matin…
Je comprends maintenant que c’est une marque de fauteuils super classe (et chers donc) que je ne connaissais pas (excusez ! mais je n’ai que des tabourets en mélèze chez moi (que j’ai taillé moi-même dans la masse)). Et avec une majuscule ?
Le chieur de Noël…
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Non pas si chère que cela, mes meubles ne coûtent plus guère désormais, comme les êtres humains, par contre il faut se mettre au rempaillage et à la tapisserie 😉 merci Ernest et bonnes fêtes de fin d’année
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