Le défaut

Huile sur toile 100×80 cm 2021

Mettre en avant ses qualités, planquer ses défauts, voilà ce qui nous est demandé à un tel point que nous ne nous souvenons plus. Nous ne nous souvenons plus de cette règle tellement nous l’intégrons comme si c’était nous qui l’avions décidée, qui l’avions découverte…

J’ai déjà parlé de la maladresse en peinture c’était une façon d’aborder le défaut, de redorer si l’on veut son blason.

Qu’est-ce qu’un défaut ?

Je me souviens avoir travaillé comme intérimaire chez Hermès. Je devais assister des ouvrières qui s’occupaient de la vérification des carrés de soie. Un nouveau logiciel qui contenaient encore quelques bugs, quelque « défauts » à corriger.

Corriger un défaut.

L’exigence de qualité est la marque de fabrique de ce genre d’industrie. L’absence totale de défaut est implicite à la notion de luxe.

Evidemment, de mon point de vue étriqué d’intérimaire payé avec un lance-pierre, cela me faisait bien rigoler. Je veux dire que lorsqu’on se débat pour parvenir sans trop d’emmerdement à la fin du mois le luxe vous passe à des altitudes incommensurables au dessus de la tête.

Il y avait une jeune femme qui dirigeait l’unité où j’intervenais. Une jeune femme terriblement efficace, qui, entre deux bugs à corriger ne supportait pas que les intérimaires restent les bras ballants à ne rien faire.

Elle nous faisait compter et recompter des pièces emballées dans des cartons, une espèce d’inventaire qui n’en finissait pas.

Ce n’était pas pour ça que l’on m’avait dépêché ici, mais comme je ne voulais pas faire trop de vague, et surtout me maintenir dans la durée, que l’on me reconduise ce contrat à durée déterminée, je la bouclais.

Mais c’était plus fort que moi tout de même. Ma résistance se manifestait par des erreurs de comptage.

Ce qui me valu quelques réflexions assez désobligeantes, puis humiliantes de la part de cette jeune femme qui visiblement ne supportait pas l’à peu près.

Au bout du compte ce fut un véritable enfer pour moi de venir travailler. Et plus c’était difficile plus je me trompais désormais. Même dans les fonctions qui m’étaient attribuées normalement dans le cadre de cette mission je me gourrais comme si j’avais perdu l’ensemble de mes moyens tout à coup.

Voilà comme je suis, si on m’asticote de trop, et malgré tout mon courage et ma bonne volonté, ou ma trouille de décevoir, quelque chose se rebiffe et m’entraine à faire tout le contraire, c’est à dire n’importe quoi.

Evidemment mon contrat ne fut pas reconduit. Je me souviens encore de ma déception et de la colère envers moi-même à ce moment là. Je n’en voulais pas à la jeune femme au contraire je crois que mon agacement était tel envers moi-même qu’il avait déclenché une drôle d’admiration comme un otage peut sans doute en éprouver pour ses bourreaux.

Je n’étais pas exempt de défaut, je n’avais donc pas ma place chez Hermès. Jusque là tout était d’une logique implacable.

Mais du coup la boite d’intérim m’envoya ailleurs. Plus près de chez moi et un boulot tranquille où j’ai trouvé plaisir de me rendre. Un tel plaisir dans mon souvenir que j’ai du y rester presque une année entière. Puis on m’a découvert d’autres défauts probablement et j’ai été envoyé encore ailleurs.

Du coup on voit assez bien à quoi servent ces fameux défauts. A ne pas rester installé dans quelque chose de trop confortable qui finit par devenir de l’ennui probablement.

Du moins c’est ainsi que je veux le voir.

Et en peinture à quoi sert donc le défaut ? Et bien il sert tout simplement à aller plus loin aussi d’une certaine façon.

Il y a peu je suis tombé sur une publication sur un réseau social. Un tableau hyperréaliste effectué par un peintre de ma connaissance que je ne vois plus. Aucun défaut, une photographie parfaite. Quel ennui je me suis dit.

Evidemment on peut saluer la performance. Le nombre incalculable d’heures passées à reproduire aussi précisément les choses pour donner cette illusion de réalité. Mais l’émotion, la vie, en est à part ça quasi totalement absente. Une peinture morte.

Encore un défaut sans doute que je peux relever. Je ne cède pas facilement à l’admiration. Je veux dire à ce que l’on m’imposerait implicitement toujours d’avoir à admirer. Je m’en fiche totalement.

Exactement pareil avec les jolies femmes. Elles peuvent se pomponner, se tartiner la frimousse de trompe-couillon, se revêtir de leurs plus beaux atours, je freine des deux pieds immédiatement. Je répudie aussitôt le cliché. Puis je m’interroge, qui a t’il derrière tout cela ? Un défaut en entraine facilement toute une collection d’autres. Comme celui de trop réfléchir par exemple.

Le sachant désormais j’évite de réfléchir lorsque je peins. Ce sont des périodes heureuses lorsque je parviens à conserver cette prudence. Mais je suis incapable de constance, nouveau défaut. Alors en ce moment je ne peins pas je réfléchis.

Je réfléchis un peu comme un miroir peut le faire en épuisant peu à peu tous les reflets.

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