Artiste libre, la stratégie, le système.

L’important est d’être à l’aise dans ses pompes que l’on soit milliardaire ou traine-savate. Et désormais je suis parfaitement à l’aise avec le fait de vendre mes tableaux à un prix « atelier ». Je suis un artiste libre et cela fait un bail que j’ai laissé ma place à la grande clownerie du marché de l’art.

C’est à dire que je fixe moi-même les prix, et je ne monte pas ceux-ci en fonction des commissions à refiler à tous les maquereaux, les rapaces, les loueurs de cimaises, et les guignols qui sévissent désormais comme des poissons pilotes autour des artistes, pour les plumer surtout.

Ainsi je réponds à deux critères importants pour moi et qui sont dans l’ordre :

  • pouvoir vivre de mon art correctement
  • le rendre accessible au plus grand nombre, sans pour autant le dévaloriser, ni me dévaloriser moi-même.

ça ne se fait pas tout de suite, il a bien fallu une vingtaine d’années pour parvenir à trouver mon propre système.

J’en ai vu des vertes et des pas mures.

Pour parvenir à cette sensation de « bien-être », pour savourer ce sentiment de liberté, il ne s’agit pas seulement de rester dans son atelier et de peindre, il ne suffit pas de participer à une ou deux expositions collectives par an, de se jouer tout seul un air de clarinette, bien sur que non, tout cela ne suffit pas.

Il faut d’abord mettre les mains dans le cambouis. Et je vais vous raconter en quelques mots comment je suis parvenu à traverser le fameux miroir aux alouettes qui n’est rien d’autre qu’une accumulation de « on dit » de rumeurs, de clichés sur le statut d’artiste.

Car le premier obstacle pour obtenir la liberté est une mauvaise appréciation de ce mot.

Etre libre ne signifie pas faire tout et n’importe quoi, comme « réussir » n’est surement pas lié au volume de pognon que l’on place sur un compte en banque, ni à la baraque dans laquelle on vit, la bagnole dans laquelle on roule. Non, être libre et réussir ce n’est pas du tout ça.

Etre libre et réussir est une affaire de satisfaction de besoins en tout premier lieu et la seule question importante à se poser encore et encore est simple c’est le fameux :

Qu’est ce que je veux vraiment ?

Et là déjà à cette première étape, il y a déjà un sacré boulot.

Car ce n’est pas : qu’est-ce que la société veut que je veuille, c’est à dire la question que nous nous posons à peu près tous dans une totale ignorance du verbe « vouloir ».

J’ai la chance d’être un emmerdeur de première catégorie depuis mon plus jeune âge. Rien n’a jamais coulé de source autant que je veuille bien m’en souvenir. Je n’acceptais rien de ce que l’on me disait de façon naturelle, il fallait toujours que je remette tout en question, que je demande pourquoi ceci, pourquoi cela ? Ce qui m’a valu pas mal de déboires évidemment.

Au bout d’un moment j’ai arrêté de poser des questions tout azimuts, j’ai commencé à me les poser pour moi seul. Et ce fut à peu près la même révolution que le premier pas de l’homme sur la lune auquel j’ai assisté en juillet 1969. Je m’en souviens encore parfaitement.

Toutes les personnes du quartier étaient venues chez mon aïeul, car il était le seul à posséder un récepteur de télévision. Il a allumé celui-ci, offert des sièges à toute l’assemblée, et lorsqu’il n’a plus eu de chaise à proposer, les gens sont restés debout bouche bée à regarder les images neigeuses de ce bonhomme emmitouflé de blanc poser son panard sur le sol lunaire.

Que faisait mon aïeul à ce moment là précisément ? Il remplissait des grilles de mots croisés, il faisait ce qu’il avait coutume de faire à cette heure là exactement comme il avait pris l’habitude de le faire chaque jour.

A un moment il y eu une clameur dans la salle à manger, la porte du module lunaire s’entrouvrit et on vit la silhouette pataude de Neil Armstrong en scaphandre s’extraire de l’appareil puis c’est au moment où il toucha le sol qu’il prononça la fameuse phrase: un petit pas pour l’homme mais un pas de géant pour l’humanité

Ce qui fit bien rigoler mon aïeul. Il ajouta sans même regarder le poste : mes pauvres enfants ces américains n’en loupent jamais une, c’est encore une de leurs clowneries, du cinéma, de la science fiction.

Il y eut juste une onde légère d’agacement qui fit frémir l’assemblée. Rien de plus. Tout le monde resta les yeux rivés sur le poste.

Par contre moi je ne regardais plus que mon aïeul. J’avais à cet instant sans savoir pourquoi vraiment une admiration sans borne pour lui. Et je crois que je n’ai jamais changé d’avis depuis. Le véritable héros de cette fameuse journée de juillet 1969 c’était lui sans nul doute et certainement pas ce cosmonaute.

Vous voyez on est encore en plein dedans… il y a ce que la société veut que nous pensions, que nous désirions, et puis il y a notre propre jugement que nous nous forgeons tout seul face à chaque événement.

A partir de là les difficultés commencent. Vous vous éloignez du groupe et découvrez la solitude. Mais vous n’êtes jamais totalement seul, vous avez une braise, c’est cette fameuse question : qu’est ce que je veux ! qu’est ce que je veux vivre, qu’est ce que je veux penser, qu’est ce que je veux dire ?

Ensuite une opération digne d’un chantier pharaonique démarre dans laquelle il ne s’agit pas de construire une pyramide, mais au contraire, de les mettre toutes l’une après l’autre en pièces afin d’examiner chaque bloc, chaque parcelle de cette illusion avec laquelle on nous a laisser croire qu’il s’agissait d’une œuvre accomplie, d’une œuvre parfaite. C’est à dire une loi gravée dans le marbre, des habitudes, des traditions, des règles immuables qu’il ne serait en aucune cas louable de modifier.

On s’égare énormément dans cette déconstruction du monde. On rejette une part importante de ce que l’on croit être. On rejette presque tout de la soi disant identité d’enfant, de fils, d’écolier et plus tard encore ça ne s’arrête jamais. C’est la méthode Giacometti. On en retire un petit bout après l’autre pour qu’il ne reste guère plus qu’une silhouette de brindille.

Tout n’est pas linéaire, on fait pas mal d’aller-retour, parce que c’est difficile la solitude, c’est difficile de se séparer de ses proches, de ses camarades, de ses collègues, de ses amours. Et on ne sait même pas pourquoi on fait tout ça. C’est comme on dit plus fort que soi. On avance par instinct, par pulsion beaucoup et on rumine. On rumine énormément parce qu’on ne prend pas les choses de la bonne façon. C’est à dire que l’on oublie de temps en temps la question. On oublie le qu’est ce que je veux vraiment ?

Et c’est normal qu’elle s’évanouisse. Il faut aussi le savoir. Pour vivre, il faut oublier ce que l’on veut à certains moments afin de mieux y revenir. Car il n’y a pas de réponse toute faite évidemment, et plus on avance plus on se rend compte que la question tire une énergie nouvelle du mouvement, du changement, de l’action bien plus que de la moindre réflexion.

La liberté ce n’est pas faire n’importe quoi n’importe comment, mais il faut d’abord faire n’importe quoi n’importe comment pour s’en rendre compte. Il faut arriver aussi à ne plus rien vouloir du tout pour se rendre compte que tout ce que l’on voulait ne nous appartenait pas. Ne nous a jamais appartenu. Que ce n’était que du désir propagé par l’air du temps, du vent.

Quand on n’a plus rien, quand on ne veut plus rien, la question revient, elle est radieuse.

Elle est radieuse comme une aube qui promet une belle journée. Une journée où tout va s’enquiller sans aucune difficulté réelle. Un pas après l’autre, une difficulté après l’autre, comme un enchainement de Katas. Ce qui peut faire penser, à tort évidemment, que l’on est passé maître en quoique ce soit.

C’est l’autre versant que l’on découvre tout à coup. Celui de la facilité de tout enjamber avec distance, presque avec indifférence. On ne veut plus rien que bien faire chaque chose au mieux, telle qu’elle se présentera. On imagine déjà cette posture vous voyez…ce sourire béat, cet air satisfait agaçant, cette voix sans timbre, et ces gestes un peu trop appuyés comme si on était au spectacle de soi-même.

Se rendre compte de ça demande autant d’énergie que celle d’un poisson qui se débat sur l’herbe pour rejoindre l’eau. Un sursaut après l’autre jusqu’à enfin y parvenir.

Nouvelle épopée. La même représentée mille fois différemment en fait.

Cette question radieuse est soudain devenue hideuse.

Mais nom d’un chien qu’est ce que je peux bien vouloir merde ?

Mon aïeul se tourne légèrement vers moi le crayon en l’air au dessus de sa grille de mots croisés

Il rigole.

Je rigole avec lui. Pour un peu sans cette réserve que nous avons eu toujours l’un vis à vis de l’autre on s’étreindrait.

Puis tout disparait de nouveau. Il fait noir. Très noir. Le noir est une matière. On se retrouve à Rodez devant des tableaux de Soulages. Et c’est vrai, ça nous soulage. On admire, on voudrait bien parvenir à faire pareil. Pas du Soulage non, du soi-même.

Qu’est ce que je veux, la puissance des mantras

Ce que l’on met un temps infini à comprendre c’est qu’une fois que l’on a prononcé la formule magique le miracle est déjà parti. Le miracle est dans le silence infime qui suit la prononciation. On ne le remarque pas.

Qu’est ce que je veux, c’est un mantra, un support de méditation, un koan, il n’y a pas de réponse à fournir, surtout pas. Il faut juste se rappeler que l’on veut quelque chose, c’est tout. Puis l’oublier à nouveau, et se lancer dans l’action sans y penser. Vivre encore un peu plus loin la vie, éprouver des joies et des peines ordinaires, être absolument ordinaire. C’est la seule façon d’aller dans le bon sens et de l’atteindre en même temps. Toujours cette histoire de poisson dans l’eau.

Qu’est ce que je veux ? c’est à peu de chose près la même chose que : Où est passé le chat ? Lorsqu’on finit de vouloir à tout prix répondre à la question, c’est à dire en finir, on se rend compte que quelque chose de très subtil s’est produit malgré soi.

Ensuite parvenir à se reculer suffisamment pour contempler tout ça est une autre paire de manche. Mais je ne dis pas tout. J’en garde un peu pour ne pas vous ennuyer plus que nécessaire.

Demain peut-être, ou après-demain je vous donnerai un peu plus de grain à moudre, des trucs des astuces, des raccourcis, des listes à puces, des cases à cocher. ça ne sera pas gratuit je vous le dis tout de go.

Je suis un artiste libre d’accord mais je ne suis pas con.

D’ailleurs inscrivez-vous déjà à ce blog si vous ne l’avez pas encore fait, faites donc ce premier pas sinon fuyez.

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