Le format carré

Quelques notes jetés en vue d’un article plus approfondi sur le sujet.

J’ai envie de revisiter les raisons pour lesquelles j’utilise le format carré suite à une interrogation d’un stagiaire hier. J’ai coutume de dire que la règle des 3 tiers n’a pas de réel intérêt dans le carré. Et souvent j’ajoute : Si vous voulez installer un sujet dans un tableau demandez-vous si le rectangle ne lui conviendrait pas tout autant plutôt que de le placer dans un carré. Car je vois souvent ce genre de composition, on applique les mêmes règles du rectangle au carré et j’éprouve toujours un petit malaise à regarder ce genre de composition.

C’est comme si on cherchait midi à 14h, comme si on ne désirait pas tenir compte de l’équilibre parfait, de l’harmonie naturelle qu’inspire depuis toujours le carré.

Pour comprendre ce format il faut se souvenir que sa largeur est parfaitement égale à sa longueur. C’est le point crucial à retenir en premier lieu car cela oblige justement à la rigueur. Et cette rigueur qui provient d’un équilibre agréable à l’œil invite la pensée à emprunter le même chemin. C’est à dire à effectuer un cercle parfait autour d’un centre qui justement, précisément, je dirais même « fatalement » ne peut se trouver qu’au milieu exact du carré.

Je repense à la photographie qui m’a certainement plus enseigné quant à la composition que n’importe quel professeur de dessin ou de peinture.

Les photographes n’ont pas inventé de nouvelles règles en matière de composition qui seraient spécifiques à la photographie. Et il faut se souvenir des appareils utilisés, le fameux Rolleiflex notamment et de son format 6×6 . Les photographes se sont avant tout inspirés des arts dits classiques, de la peinture évidemment qui elle même se sera inspirée de l’architecture en matière de composition, disons de la géométrie en général.

Les anciens, à l’appui de leurs observations de la nature nourrissait la croyance en une divine proportion, que l’on appelle aussi la section dorée, le nombre d’or. Il faut remonter à Euclide pour entendre parler du découpage d’un segment en « extrême et moyenne raison » Etrange d’ailleurs ce terme de « raison » pour discuter de géométrie ? mais passons, et rappelons nous que cette histoire de proportion ne date pas d’hier.

Et certainement que cet héritage remonte à bien plus loin, car on peut aussi imaginer que la construction des pyramides nécessitait le même type de connaissance. Que les Egyptiens eux-mêmes avaient acquis de civilisation plus anciennes. Même les gaulois ne construisaient pas leurs villes au hasard des chercheurs ont remarqué que la distance entre chaque grande ville correspondait à un nombre, calculé proportionnellement à une section que l’on peut considérer extraite du rayon de la Terre calculé grâce au nombre d’or , ce qui laisse songeur sur la façon dont cette mesure a été trouvée puisque pour ce faire il est nécessaire de connaitre la circonférence.

Découpage d’un segment en extrême et moyenne raison. La proportion définie par a et b est dite d’« extrême et moyenne raison » lorsque a est à b ce que a + b est à a, soit : lorsque (a + b)/a = a/b. Le rapport a/b est alors égal au nombre d’or.

En Chine le carré est aussi considéré comme une forme parfaite représentant l’univers.

En 1977 un archéologue procède à des fouilles dans un des xians de la municipalité de Fuyang, située dans la province de Anhui, en Chine. Il découvre deux tumulus datant de la dynastie des Han antérieurs, et plus précisément de l’an 9 du règne de Han Wendi, ce qui correspond à l’an 173 av. J.-C. Dans un de ces tumulus, on trouve un plateau de divination taiyi (太乙) des « Neuf palais » (九宫). Ce plateau est en fait un carré magique datant de la dynastie Han. Avant cette découverte, l’existence de ce type de plateau n’était connue que grâce aux Notes de transmission des arts mathématiques (zh), un traité datant de la dynastie des Han postérieurs.

lien wikipédia.

Le carré inspire une idée de perfection et, si l’on y inscrit les diagonales, toutes se croisent en son centre. Autre particularité intéressante si on place la pointe d’un compas au milieu du segment de base du carré et que l’on ouvre l’ouverture jusqu’à l’angle en haut à droite, on peut tracer un segment de cercle qui créera un point d’intersection sur cette section projetée dans le même sens. Si l’on calcule la proportion de ce nouveau rectangle que l’on ajoute au carré on s’aperçoit qu’elle se base sur Phi, 1618, ou l’un de ses multiples. c’est une des façons possibles de construire ce que l’on appelle un rectangle d’or.

En passant je rappelle que pour installer un point focal sur une composition en rectangle il suffit de diviser ce rectangle en un carré et un autre rectangle. l’intersection de ces deux formes géométriques simples est souvent le lieu où l’œil trouvera le meilleur intérêt dans une composition

Construction d’un rectangle d’or. On remarquera en passant que le carré peut être aussi construit avec deux rectangles proches de celui crée ainsi.

A la Renaissance c’est un moine Franciscain Luca Pacioli ( 1447-1517) ( Luca Di Borgo) qui invente le terme de divine proportion lorsqu’il traduit les éléments d’Euclide. D’ailleurs les peintres de la Renaissance revisiteront la géométrie sacrée pour l’incorporer à la peinture.

L’homme de Vitruve Léonard de Vinci.

Le format carré est idéal à mon sens pour effectuer des recherches dans le domaine de la peinture. Je crois cependant qu’il n’est pas tout à fait exact de dire qu’il faut impérativement placer le sujet principal au centre du carré. Mais que le centre du carré est le point focal vers lequel attirer le regard ce qui n’est pas tout à fait la même chose. L’œil en pénétrant dans le tableau effectue le parcours d’un cercle et ne se rend pas compte tout de suite de ce point focal vers lequel les éléments tournent ou convergent .

A noter les travaux d’un peintre qui portait une attention extrême à ses compositions de façon à créer une certaine ambiguïté dans la hiérarchie des importances. Souvent le centre du carré dans ses composition indiquait un sujet mais qui faisait référence à un détail placé quelque part dans le tableau, comme un jeu de miroir parfois entre le décor et le sujet. Ce qu’il désirait c’est que sa peinture fasse réfléchir, que l’on comprenne qu’elle provenait d’une réflexion assez poussée sur une certaine façon d’installer une géométrie, un vocabulaire géométrique.

Par exemple dans le Massacre des Innocents, fortement inspiré par les travaux du Caravage car il s’agissait d’une commande pour… un fan de Caravage justement.

Notons que Giustiniani, le commanditaire présumé, était d’abord protecteur du Caravage (1571-1610) et des caravagesques avant de s’intéresser au travail de Nicolas Poussin.

Il est peut-être alors possible de faire un rapprochement entre ces deux données, même si cette réminiscence caravagesque correspond aussi à une période de recherche d’un style propre dans la carrière du peintre.

Si l’on compare l’étude et le tableau final on remarque que toute la composition s’est épurée pour attirer le regard vers le visage de la femme qui hurle au centre du carré crée par la scène. En revanche la tête de l’enfant se trouve installée dans un rectangle qui n’est pas un rectangle d’or mais un rectangle basé sur la moitié du carré. Nicolas Poussin dans son vocabulaire géométrique utilisait à la fois le rectangle d’or et la sur la racine carrée d’un segment de carré.

Aujourd’hui lorsque je scrolle sur Instagram ou d’autre réseaux sociaux pour voir de la peinture, je remarque que de nombreux peintres utilisent le format carré. Cependant qu’ils ne tiennent pas compte a des règles inhérentes à la composition dans celui-ci.

C’est comme si on assistait à une sorte de rébellion face à cette idée de perfection qu’inspire depuis toujours le carré.

C’est d’autant plus intéressant aussi que je veuille à tout prix préserver cette tradition, car en matière de rébellion et de refus de l’autorité j’ai toujours été au premier rang. Mais le fait est que nombreux de mes tableaux de format carré tournent toujours autour d’un mystère qui s’incarne à sa meilleure position dans leur milieu.

J’ai eut déjà des commentaires à ce sujet de personnes à l’œil acéré et qui me parlent de ce mystère qu’ils détectent au centre de mes toiles carrées.

Huile sur toile 2022

6 réflexions sur “Le format carré

  1. La divine proportion est une chose quasi innée. Petit, je jouais à écrire un 3 au creux d’une paume. Je montrais une série de chiffres à un ami – 1 2 3 4 5 – et je lui demandais de choisir sans réfléchir. Leur tronche lorsque j’ouvrais la paume ! La grande majorité avait choisi le 3.

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