
Un chat miaule dans la cour mais ce n’est pas le mien cette fois. Il s’agit d’un petit chat noir qui est arrivé là je ne sais comment. Des miaulements assez déchirants. Je suis descendu plusieurs fois mais il arrive à se planquer je ne sais où. Je ne le vois plus. Parvenu dans la cour il se tait.
Du coup je remonte dans mon bureau et ça ne loupe pas, quelques instants plus tard, rebelotte.
Il n’y a pas de hasard, il n’y a que notre ignorance de ne pas savoir décrypter les messages de notre inconscient.
J’ai cette intuition depuis toujours. Même si dans le quotidien je suis bien obligé de faire comme tout le monde, de me dire que le hasard, la coïncidence sont fortuits.
Sinon ce serait proprement invivable, surtout pour mes proches. C’est comme si je devais endormir une partie de ma conscience dans ce quotidien pour justement pouvoir y vivre « normalement ». Un sacrifice, un compromis.
Et à chaque fois un effet de bord persistant me donne l’impression d’être un éternel débutant.
Comme si la part de conscience endormie justement éveillait une candeur, une naïveté de la même nature que celle qu’on trouve chez les petits enfants ou les vieillards.
Je perds alors la mémoire de toutes les expériences passées sur un sujet, ou bien les connexions qui d’ordinaire se font naturellement. toutes les analogies s’évanouissent brusquement.
Je me retrouve assez proche de l’idiot et en même temps ça ne me gène pas du tout, je crois même que je revendique cette position. Je la défends tout à coup comme on défendrait un château, un donjon, une princesse.
Enfant je me souviens qu’en classe j’essuyais de sacrés grains en raison de cette propension à l’idiotie. Soudain on m’interrogeait et je me retrouvais aspiré dans le moment présent sans plus rien y comprendre . Alors, je disais n’importe quoi, pour meubler ce silence épais qui s’abattait sur la classe et sur moi.
Cela faisait rire mes camarades, mais pas vraiment l’enseignant. A l’époque l’instituteur s’accrochait à un cadre encore très strict, ça ne rigolait pas.
Donc disons que l’alignement des planètes à ces moments là m’était plutôt funeste dans un tel contexte.
J’éprouvais mon petit moment de solitude, puis j’essuyais les moqueries, les railleries des fiers à bras du premier rang, les gloussements des petites filles sages.
Ah ça je me rappelle très bien comme c’était insupportable. Et aussi comme je me rebellais farouchement contre cette sensation qui m’envahissait, cette sorte de culpabilité de me retrouver idiot justement face à des prétendus intelligents ou normaux.
Je décelais la règle d’un jeu cruel, le jeu de la société où les plus forts n’en loupent jamais une pour s’attaquer aux soi disant plus faibles.
En ce qui me concerne je ne voyais pas cette hiérarchie dans le même ordre que la plupart de mes camarades.
Il me semble qu’une part de moi extrêmement calme expérimentait l’idiotie tout à fait consciemment juste pour savoir jusqu’où la bêtise la méchanceté, finalement le mauvais coté ( en existe t’il vraiment un bon ?) de l’instinct grégaire pouvait aller pour ne pas se retrouver confronté avec l’anormal, l’étrangeté, la folie.
Ces deux parties finalement, celle qui s’endort pour laisser la place à l’ignorance, à la naïveté, à l’idiotie et celle qui reste constamment éveillée quoiqu’il advienne, s’entendent comme larrons en foire. Elles se nourrissent, s’entraident mutuellement.
Dans quel but ? J’ai mis longtemps à cogiter cela. Car de toutes évidence au début je ne parvenais pas à le formuler comme je suis apte à le faire aujourd’hui. J’en avais juste une sensation, une intuition si l’on veut.
Donc dans quel but cela m’arrivait-il ? Pourquoi créer ainsi une sorte de défense perpétuelle face au groupe et surtout pourquoi me transformer en cobaye pour pouvoir observer tout cela ?
J’ai tiré jusque là quantité d’hypothèses qui se valent à peu près toutes, c’est à dire autant que peut valoir une hypothèse : pas grand chose.
L’avantage cependant d’en avoir tiré autant de ces hypothèses , et de bon cœur, c’est que j’aurais épuisé ainsi en toute ignorance, une loi de l’obsession qui veut que c’est par l’épuisement de l’obsession ou du désir monomaniaque qu’on s’en libère.
Une forme de jusqu’au boutisme dont j’ai fait une de mes spécialités.
Donc éternel débutant oui et non.
Il se peut que ce soit même un but à atteindre perpétuellement que celui de vouloir être cet éternel débutant. Un but qui ne cesse de reculer sitôt que je fais mine de m’en rapprocher. Ou pas mine d’ailleurs, quand je m’en rapproche véritablement.
C’est comme si la loi d’attraction-répulsion me barrait la route. Plus on veut une chose moins on l’obtient, moins on veut quelque chose plus on l’obtient.
Il s’agit évidemment du couple peur-désir.
Est-ce que c’est mon boulot de vouloir en finir avec cette histoire de paradoxe ? Parfois je cède à la pression extérieure, je me retrouve déprimé, au trente sixième dessous, accablé et claqué par ce que je considère soudain être la velléité de ma vie toute entière. A cet instant je ne vaux pas un kopeck.
Et puis l’instant juste après je côtoie le Roi du monde tout à fait naturellement. Encore une tasse de thé etc.
Tout ça se passe en un clignement d’œil à peine.
J’imagine assez bien ce que peut ressentir un pilote d’avion de chasse lorsqu’il franchit soudain le mur du son, quand il prend des jets plein la poire. Et encore lui possède un casque, il a du pot.
Donc pourquoi je parle de ça ? Mais de quoi parler d’autre ? je ne vais tout de même pas me mettre à parler de moi, cela n’aurait aucun intérêt. D’autant que pour trier le vrai du faux on perdrait tous bien trop de temps sans compter l’ennui.
Non ce chat qui n’est pas le mien et qui se met à miauler a réveillé quelque chose.
Je suis descendu encore une fois juste après avoir écrit ces quelques lignes et soudain, quelqu’un avait allumé la lumière de la cour, ce n’est pas moi j’en suis certain. Je suis arrivé au beau milieu de la cour j’ai eu le temps d’allumer une cigarette puis soudain de m’apercevoir de cette lumière allumée.
Est-ce le chat qui a trouvé une issue et qui dans sa débâcle aura appuyé sur l’interrupteur ?
Est-ce moi qui finalement ai allumé machinalement lors d’une descente précédente ?
— Non c’est moi me dit une voix que je mis un petit moment à reconnaitre tellement j’étais revenu à mes pensées habituelles.
Myrdinn est là assis sur le banc dans la pénombre.
— Je te rappelle que nous sommes censés être dans un vaisseau spatial qui file vers ma planète me dit-il comme s’il me grondait gentiment.
Je sursautai tout à coup comme si l’information avait pris un détour pour parvenir à ma conscience.
Ce qui fit rire Merlin l’enchanteur évidemment.
— Un peu de plus j’ai bien cru que tu allais m’offrir un café me dit il. C’est toujours comme ça avec toi , au début tu réagis du tac au tac , rien ne parait jamais te surprendre. Mais là mon ami je t’ai bien eut il me semble. Ne serais tu pas en train de douter d’une certaine réalité ? Est-ce que de te réfugier dans le fait d’être toujours cet éternel débutant dont tu parles n’arrive pas en fin de course ?
Et là je vis clairement le double mouvement, comme au ralenti, cette part de moi qui presque aussitôt prend congé de l’instant tandis qu’une autre s’avance avec son masque d’idiotie, soi disant d’éternel débutant.
— Touché Merlin ! dis je en capitulant
Presque aussitôt je vis deux corbeaux noirs sortir de mon crane par le sommet, ils avaient l’air affolés, ils battaient des ailes frénétiquement et se mirent à se jeter sur les parois tout autour de la cour comme de simples mouches qui butent sur une vitre.
Myrdinn sorti alors un petit objet de sa poche et souffla dedans. Il y eut quelques sons d’une fréquence extrêmement aigue puis deux ou trois notes basses et les deux oiseaux semblèrent apaisés aussitôt. Ils s’élevèrent à la verticale et je les suivais des yeux.
Tout là haut des milliers d’étoiles brillaient et je vis la constellation en forme de grande casserole., la Grande Ourse. C’est la première fois que je réalisais que la maison était juste dessous. Cela non plus n’est certainement pas un hasard.
— Bien sur que non dit Myrdinn il n’y a pas de hasard comme il n’y a rien en dehors de ta conscience.
Le jusqu’auboutisme de l’idiot conscient de l’être face au groupe, c’est une jouissance et donc une force je crois…
Belle journée Patrick
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Merci Barbara à toi aussi
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