
Pourquoi moi ? Me voici saucissonné et jeté sur le sol d’un grand vaisseau sombre dont j’ai pu apercevoir vaguement la forme triangulaire. Qu’ai-je donc dit ou fait pour m’attirer autant de déboires en si peu de temps ?
C’est comme si les choses s’accéléraient. Comme si la crainte, l’inquiétude, qui ne me quittent plus depuis des jours, avaient le pouvoir non seulement de créer le temps mais de l’accélérer brutalement.
Comme si je pressentais une fin. La fin de cette histoire à dormir debout, celle d’un monde qui s’évanouit pour laisser place à quelque chose de terrible, de jamais vu, d’une ineptie dépassant toutes les autres. On ne s’attarde pas suffisamment sur la modernité de l’ineptie qui, elle aussi, suit son chemin, en parallèle de toutes les autres qualités humaines.
Un accent traînant américain. Un gradé qui donne des ordres d’une façon faussement décontractée à d’autres que je n’entends pas. On m’a aveuglé avec ce que j’imagine être un bandeau. J’ai les pieds et poings liés. J’ai l’air fin. Qu’est ce que je fiche ici dans ce vaisseau et pourquoi ça parle américain ?
—il se réveille attention ! dit une voix en français. Donnez lui une dose plus forte nom de Dieu !
Des pas s’approchent, des pas légers comme ceux d’une femme, d’ailleurs je peux sentir un parfum de talc Azura, c’est étonnant comme on peut tout de même relever ce genre de petit détail dans ce genre de situation. Mais pas le temps de philosopher je sens la piqure dans mon avant bras. On m’injecte quelque chose, je tente de me débattre mais déjà mes pensées deviennent confuses. Je m’accroche à l’odeur du talc puis je me sens glisser peu à peu dans le sommeil.
Paris, septembre 1981.
Je n’arrive toujours pas à réaliser que je vis avec cette fille. Je crois qu’il s’agit d’un rêve, et que ce rêve va s’achever d’un moment à l’autre. Peut-être que si je dis les choses ainsi je comprendrais mieux la suite logique de cette histoire.
D’un côté j’estime bénéficier d’une chance inouïe. Alors que d’un autre je reste persuadé de l’illégitimité d’une telle chance. J’ai, comme on le dit vulgairement, le cul entre deux chaises. Et c’est extrêmement inconfortable. Les psychologues diraient avec cet air grave au chevet d’un patient : double contrainte !
D’ailleurs n’est-ce pas cette année là que je découvre les travaux de Grégory Bateson, je crois bien, et sa théorie du Double bind. Bref je cherche des raisons à ce sentiment d’inconfort déjà à cette époque.
Elle, qui est t’elle ? Avant tout je pense à un trophée que la vie m’aurait flanqué dans les bras sans que je n’ai vraiment commis le moindre effort. Car il faut mériter les choses encore en ce temps là, tout me revient. Et donc quelque chose ne va pas. J’ai été récompensé pour rien.
Pour rien ? Ou plutôt pour une de ces phrases intempestives qui sortent de ma bouche sans que je ne les comprenne moi-même, une sorte d’Oracle livré par un idiot.
On m’a tellement bourré le crâne avec l’existence du hasard.
Je lui avais dit j’ai la clef du septième ciel.
En revenant par la route goudronnée du cimetière d’Auvers sur Oise. J’avais été ému à cause du lierre qui reliait les deux sépultures de Vincent Van Gogh et son frère Theo.
Il avait plu, peut être y avait il aussi une odeur de lilas qui se mêlait à l’odeur de terre mouillée montant des champs alentours.
Bref j’étais en transe et comme nous marchions l’un près de l’autre en dehors du groupe, je n’avais pas pu me retenir de dire cette phrase à haute voix.
Elle m’avait donné la main juste après. Concours de circonstances extraordinaire. Je suis totalement dépassé. Mais je n’affiche rien. Je fais le gars qui connaît la vie. Putain, quel abruti de première.
En vrai je ne sais pas du tout quoi faire de cette main dans la mienne, c’est ça la putain de vérité.
Quelle méfiance, quelle peur puis je constater à rebours. Je ne suis constitué que de ça. Une inquiétude une angoisse perpétuelle devant la vie. Aussi je peux me souvenir un peu mieux des événements constitutifs de cette défaite programmée. C’est à dire en écrasant la coquille crée pour enfermer les raisons aussi opaques que mensongères dans laquelle j’ai tenue enfermée le souvenir véritable.
Je pourrais dire que je la considère comme une fille bien sous tous rapports et que je ne suis qu’une brute, un voyou. Mais ce serait simplifier de façon irrespectueuse la réalité.
Disons que je ne mesure pas plus sa complexité que la mienne à l’époque. Voilà qui est beaucoup mieux et qui ouvre un champs de possibles bien plus vaste.
Les choses une fois que l’on met un doigt dedans vont très vite. On ne se rend pas compte de la vitesse que procurent les habitudes, le quotidien, et de la rapidité à laquelle le miracle se métamorphose en banalité.
Cela fait partie intégralement du programme choisi. On croit au bout de tout ça à un ersatz d’éternité que l’on confond avec l’ennui.
Et l’ambition dans tout ça ? Ce n’était plus du tout sérieux de vouloir être écrivain, chanteur, photographe, peintre… du moins c’était à mettre de côté pour l’instant. Être responsable, assumer, sérieux. Là aussi belle erreur car elle ne demande rien. Elle me laisse libre de choisir. Elle compatit même quant à mes doutes, mon malaise, mon absolu manque de confiance en moi. Elle a raté médecine, se dirige vers une formation d’infirmière. Elle veut secourir les pauvres gens là bas en Afrique où je ne sais où.
Mais ce n’est pas ma mère. Merde non ! Elle a mit très vite le doigt sur cette croute ce qui me l’a faite gratter jusqu’au sang.
Alors je l’ai baisée. Je ne lui faisais plus l’amour, je n’étais pas de taille.
Je l’ai baisée , baisée et re baisée jusqu’à 9 fois par jour, matin midi et soir. Parfois en recommençant durant la nuit. Avec une rage dont j’éprouve de la honte aujourd’hui. J’en avais mal à la bite mais c’était plus fort que moi .
Et puis j’ai arrêté. D’un coup j’ai dit merde assez stop un peu de respect pour elle surtout. Moi j’étais totalement persuadé que je ne valais pas tripette.
Moi j’ai continué plus bas, de plus en plus bas. Dans la merde et la boue.
Des femmes, pas des jeunes filles, J’en pouvais plus.
Des mères et des putes , si possible le package entier, avec les goodies, la petite pipe dans les chiottes ou la levrette sur un capot de bagnole dans le fin fond d’un parking. Du cru et pas des moindres, merde aux bons sentiments, colargol et le manège enchanté dehors ! Adios nounours nicolas et pimprenelle.
Du cul du cul du cul !
Et rien d’autre. Et de les entendre râler gueuler insulter prier réclamer ça redonnait encore plus de vigueur à la tige, à la méchanceté en moi que je découvrais enfin autant horrifié qu’émerveillé.
Et après ces gouffres… ces retours par les Grands Boulevards déserts, juste les camions poubelle et moi. L’apaisement dans l’ordure et le parfum de l’urine, juste avant de dégringoler dans la culpabilité la honte ce confort finalement si cher à l’esprit petit bourgeois.
C’est durant cette période que j’allais retrouver Richard et ses putes de la rue des Lombards toutes les rues jusqu’à la Porte Saint-Denis. Elles étaient humaines, lui aussi, sans doute étais je lisible pour eux comme dans un livre ouvert.
J’étais comme le chat du foyer, on me nourrissait d’attentions, on m’abreuvait de conseils accompagnés de mon chéri.
Ce n’est pas par les braves gens que j’ai appris la compassion et l’amitié, ça non. Je n’étais pas non plus taillé pour ça.
C’est par la pègre, les bas-fonds, le vrai malheur, la vraie faiblesse, la vraie lâcheté, que j’ai pu enfin sentir que je possédais un muscle qui pouvait servir à autre chose qu’à pulser le sang dans mes artères.
—Il en sait beaucoup trop, il faut s’en débarrasser dit la voix américaine à l’accent trainant
—Non pas tout de suite, attendons encore un peu dit une autre voix, celle d’une femme entre deux âges.
Je passe ainsi un temps indéterminé entre la veille et le sommeil. Peu à peu la réalité et le rêve se confondent.
Je me revois enfant, je retrouve mes rêves anciens. Oh ils ne sont pas extraordinaires. Je voudrais bien que ce gros nuage qui a la forme d’un cheval vienne tout près de moi et qu’il m’emporte la haut dans le bleu.
Je voudrais avoir un ami, un vrai qui ne me trahisse pas. Et surtout je voudrais parvenir à rester conscient dans mes rêves la nuit, comprendre comment rester longtemps en suspension dans l’air en volant, pour me diriger là où mon esprit le désire.
Je m’exerce depuis toujours à diriger mes rêves…Je n’y arrive pas trop mal maintenant…
Belle journée Patrick
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Je le savais Barbara, on s’est déjà croisés c’est clair
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Laisser à d’autres le soin de nous fustiger !
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Oui mais charité bien ordonnée…
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Masochisme bien ordonné ? Je connais le problème… Enfin, c’est le mien.
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