Ventre affamé n’a pas d’oreille.

Il y avait beaucoup de fausses notes dans ses rires mais elle cuisinait des ragouts comme personne. Et comme de nombreuses femmes de sa génération elle avait reçu toute une kirielle de modes d’emploi pour conserver un homme à la maison.

La bouffe et le sexe c’était là dessus qu’elle misait par reflexe plus que par une réflexion personnelle. Et en même temps qu’elle répétait ce que des générations de femmes avant elle avaient fait pour tenter de conserver les hommes sous leur toit, elle s’en révoltait.

Ce qui lui procurait un caractère effervescent , elle était capable de se refermer aussi rapidement qu’elle s’ouvrait comme ces pétales de sensitives qui se replient dès qu’on les touche

Et donc quand l’homme arriva chez elle, elle se plia en quatre, mit les petits plats dans les grands, se maquilla et passa une robe qu’elle jugea avantageuse pour une femme de son âge.. Du moins qui ne la désavantageait pas trop.

L’homme était un de ces journaliers qui va par monts et par vaux en quête de menus travaux, un coup la taille des vignes, un coup la cueillette des fruits suivant la saison. Il était frustre mais son sourire était franc et c’est ce sourire qui l’attira. Et aussi quelque chose d’autre car il possédait malgré les travaux des champs de très belles mains.

Elle l’invita ainsi à entrer chez elle car il passait souvent par le chemin devant sa maison. d’abord pour boire de l’eau, puis le café et puis au fur et à mesure des jours ils sympathisèrent.

Il venait de l’est et ne parlait pas bien le français mais elle s’en fichait, son sourire et ses yeux bleus lui suffisaient, elle se sentait tellement bien avec lui, c’est ainsi qu’elle l’avait invité à diner ce soir là.

Elle avait fait mijoter son ragout d’agneau depuis la veille au soir et venait juste d’ajouter les pommes de terre pour qu’elle s’imprègnent doucement de la sauce au vin blanc. Il fallait que tout soit parfait à l’heure du repas.

Elle le regarda manger de bon cœur son ragout en n’oubliant pas de le resservir sitôt que son verre ou son assiette étaient vides. Et elle parlait, beaucoup, de tout, de rien, et elle riait, un rire qui montait un peu trop dans les aigus tandis que l’homme face à elle la considérait d’un air doux imperturbable.

Elle l’abandonna quelques instants pour aller se remettre un peu de parfum puis elle revint à la cuisine et en riant toujours indiqua la casserole

— Encore un peu ? demanda t’elle

Mais l’homme n’avait plus faim. Il replia son couteau puis se leva en prétextant l’heure tardive, qu’il devait se lever de bonne heure le lendemain. Elle tenta de le retenir un peu en ondulant maladroitement et en battant des paupières et des mains mais ça ne changea rien.

Elle se tint sur le seuil de la maison pour le regarder partir durant un bon moment puis, quand il disparut derrière la colline, elle rentra chez elle et une expression ancienne qu’elle avait entendue chez les autres femmes lui revint ; Ventre affamé n’a pas d’oreille

Elle ôta ses boucles d’oreilles et sa jolie robe puis alla prendre une douche pour se débarrasser aussi de l’odeur de parfum. Enfin elle revient à la cuisine et débarrassa la table en constatant que son assiette était propre, qu’elle n’avait rien pu avaler ce soir là.

Elle se traita de folle, se jura de ne plus jamais recommencer et la vaisselle faite alla se coucher.

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