L’écriture se nourrit de l’écriture.

Photo de Deeana Arts sur Pexels.com

J’ai retrouvé un vieux carnet. Sa couverture est différente de tous les autres carnets que j’avais l’habitude d’utiliser ,celui-ci est revêtu une couverture noire. Un couverture légèrement plastifiée de couleur noire, avec des motifs bizarres incrustés. Des sortes de vagues. Je crois que c’est cette singularité d’apparence qui lui a permis d’échapper à l’autodafé de 2001. Tous les carnets à couverture verte sont partis en fumée, un dimanche, en Suisse. Sauf celui-là.

Parce qu’écrire m’enfermait m’avait t’on dit alors, ou peut-être me l’étais je dit tout seul. A moins qu’encore une fois j’ai mal interprété une parole, une pensée, un non-dit, cela arrive aussi, plus souvent qu’on le pense. Bref j’ai pensé qu’il fallait choisir entre vivre et écrire pour l’amour d’une femme.

Je ne trouve toujours pas ça bête. J’ai au moins essayé. Et tant pis si ça n’a pas marché. L’expérience valait la peine. Brûler des années de labeur ne peut pas être complètement une sottise. C’est aussi se préparer à une autre étape. Sauf qu’on ignore encore tout de cette étape, il arrive même que l’on imagine des choses qui s’avèrent ensuite totalement différentes de ce que l’on a pu imaginer. C’est très humain.

Donc ce carnet…

Maintenant que je l’ai retrouvé, je retrouve aussi mes toutes premières difficultés à écrire. Ce devait être le tout premier carnet que j’avais acheté, je l’avais trouvé dans une urgence, je n’avais pas réfléchi à la couverture. J’étais entré chez le marchand de journaux dans le quartier de la Gare de l’Est où je travaillais comme receveur dans une petite imprimerie et j’avais dégoté celui-là, sans réfléchir ni à la couleur ni à la reliure. Par une pulsion voilà comment c’est arrivé dans ma poche à l’époque.

Je perdais tellement mon temps, je m’entrainais farouchement à le perdre en ne rien voulant faire de mon esprit que parfois j’avais des montées de panique ou de culpabilité.

ça résistait.

Et, bien que je ne possède pas d’ambition, il m’est venu cette lubie ( les autres parlaient de lubie ça me revient). La lubie d’écrire.

Mais je ne voulais rien écrire de scolaire. Car quand on commence on pense tout de suite à écrire des rédactions, faire un plan, trouver des idées, toutes ces choses là que l’on apprend si péniblement parfois à l’école. Des mauvais souvenirs pour moi.

Alors écrire en partant de ça, ce n’était pas bien possible.

Donc le premier jour j’ai écrit la date sur la première page. Le 17 avril 1985. C’était un mercredi, le jour de Mercure, le 107 ème jour de cette année là, ce qui donne 8 en numérologie. Aujourd’hui j’aurais plein de chose à dire sur cette date et sous cette date si c’était à recommencer. Donc le 8, autant dire un infini qui se redresse, qui se tient droit comme un I. Il me fallait certainement ce toupet là. Redresser l’infini sinon rien.

Et je parle de ne pas avoir d’ambition, et bien mon colon…

Donc j’écris la date. Et puis ce jour là ce fut tout. Un grand espace blanc se tient au dessous.

Mais tout de même un espace rempli de quelque chose. Et je ne sais pas comment qualifier nettement ce quelque chose. Je ne sais pas si c’est une impuissance soudaine qui me saute aux yeux. Je ne sais pas si c’est un espoir que j’ aperçois et que je ne veux pas perdre trop rapidement. Que je désire conserver vierge de toute rature, de toute bêtise dont je suis tout à fait capable.

Je regarde cette page avec cette date et rien d’autre.

Après tout déjà mettre la date, c’est placer un signe, une marque, une pierre blanche. On croit que ça ne demande pas d’effort mais c’est probablement faux. C’est le début de quelque chose, d’un engagement. Et sans doute que ce vide sous la date indique justement à quel point la mesure de cet engagement est soudain envisagée.

S’il faut trouver une raison à tout, et particulièrement à ce dont on ne cherche pas de raison quand on le fait.

C’est là que l’écriture rejoint pour moi la peinture.

Agir avant, réfléchir ensuite.

Parce qu’il y a la force cinétique. Même si à cette époque je n’avais qu’une très vague idée de ce que pouvait être la force cinétique.

Le fait d’impulser un mouvement ce n’est pas rien.

Mettre juste une date sur un carnet ce n’est pas rien. C’est impulser quelque chose, une intention, un mouvement et personne ne sait, ne peut savoir quand ce mouvement s’arrêtera.

La page blanche sous la date c’est aussi l’infini des possibles et bien sur la première confrontation avec l’embarras du choix. Ce n’est pas rien de voir tout ça, comme de ne pas le voir aussi. Sinon sans doute qu’on ne ferait pas grand chose. Peut-être même qu’on ne ferait rien.

Le détachement, ce mot me revient en revoyant cette date et la page laissée vide. Quelle souffrance à l’époque d’avoir un avenir à remplir sans savoir quoi faire vraiment de ses dix doigts. Et la honte aussi qui m’était tombée dessus par bouffées quand je regardais la vie autour. Toutes ces personnes assises dans la rame, lorsque au petit matin je grimpais dans le RER. Quel courage avait le monde et je me disais que je n’en avais pas. Sauf de me lever au moins pour me rendre à ce travail.

Je ne faisais que des travaux d’ouvrier pour éprouver je ne sais quelle idée de dureté de la vie. J’ai toujours entendu ça. Que la vie était dure. Je voulais en avoir le cœur net. Et toutes les qualités dont j’étais doté, les études que j’avais faites et qui allaient m’emmener vers un destin logiquement tracé, j’avais eu un doute, puis j’y avais renoncé. Je ne voulais pas être un bœuf qu’on conduit à l’abattoir. je m’accrochais à cette idée que j’étais un âne.

Bander comme un âne surtout dans mon souvenir. Incarner une certaine bêtise, proche de la sauvagerie naturelle. Une masculinité qui devait m’attirer comme un aimant.

Alors que cette page blanche justement était d’une féminité évidente. Une ouverture en tous les cas, quelque chose en attente et en même temps une offrande. Et je ne l’ai pas vue à cette époque.

L’écriture se débloque sans doute quand on ne trace plus la frontière entre les genres, quand on lâche prise vis à vis de ce cloisonnement. Peut-être qu’une grande partie de ces carnets verts que j’ai brûlés n’était rien d’autre qu’une tentative de rapprochement vers le féminin. Un féminin personnel dont j’ignorais tout et dont la présence m’envahissait d’autant plus que je voulais l’ignorer.

Cette date et rien au dessous c’est surement un première prise de conscience qu’il y a quelque chose qui m’échappe et que j’associe à un détachement à effectuer justement par l’écrit.

Encore que le ridicule n’est pas loin de vouloir se détacher à 25 ans. Se détacher de quoi ? a t’on vécu vraiment suffisamment pour vouloir se détacher comme ça ? Et tout ce parcours autour de mon nombril dans mon souvenir ne parle que de ça. Du fait qu’avant tout il s’agit de vivre pour pouvoir écrire des choses qui ne sont pas des inepties.

Je mettais des sous de côté, j’avais un projet de voyage, ça m’aidait à tenir d’avoir un projet. Dans quelques mois j’aurais suffisamment pour prendre le bus pour Istamboul, puis de là je rejoindrai Téhéran et ensuite le Pakistan, puis l’Afghanistan. Et à la fin j’explorerais l’Inde, je me rendrai à Goa pour me la couler douce. C’était ça en gros le projet. Et faire des photographies en noir et blanc, des photographies artistiques.

Et tous les matins quand je posais mon cul sur la moleskine du RER je pensais à ce projet et çà m’aidait à tenir. Je me disais que j’allais faire des choses de ce genre, des provisions de souvenirs extraordinaires pour plus tard, pour ne pas m’ennuyer de trop quand je serais vieux. Je n’étais jamais dans autre chose que dans une peur de l’avenir à cette époque et c’est ça, cette trouille qui faisait faire tout et n’importe quoi.

Il fallait que je trouve cette féminité en moi, pour m’apaiser. C’est pour ça que j’ai acheté ce carnet à couverture noire, ce n’était pas si bête que j’ai pu toujours plus ou moins le penser. L’écriture se nourrit de l’écriture, comme la féminité se nourrit de la féminité que l’on accepte peu à peu.

Et ce n’est pas une affaire de genre, ni d’état civil. Cette difficulté ne touche pas que les hommes, certainement beaucoup de femmes aussi.

Parce que les définitions les plus intéressantes ne se trouvent que très rarement dans les dictionnaires.

4 réflexions sur “L’écriture se nourrit de l’écriture.

  1. Que de souvenirs qui remontent. Mon premier carnet de poésie. Au haut de la une, mardi…, au centre de la page perdu dans l’espace blanc : …mardi… Et au bas de la page : mon estomac est vide de tout trucage. Le pire c’est que tout ça était vrai.

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