
200 images par seconde, c’est la vitesse à laquelle la mouche prend conscience de la réalité qui l’entoure, elle a même la possibilité de regarder derrière elle. La crainte du danger, des prédateurs, est certainement à l’origine de ce miracle de la nature.
Maintenant imaginons, l’homme pourrait- il accélérer sa manière de regarder la réalité ? Ne lui faudrait-il pas un élément déclencheur puissant pour que cette mutation s’opère ?
La peur toujours elle bien sûr mais qu’elle serait-elle alors ? La peur du danger, des prédateurs … mise à part une certaine méfiance envers nos quelques congénères elle ne sera sans doute pas suffisante pour opérer la mutation.
La peur de rater quelque chose alors ? Tiens peut-être une piste, utilisée abondamment dans toutes les stratégies marketing, conjuguée avec la peur de louper une bonne affaire, de rater la fin de la promo…
La peur de mourir ? Elle a toujours été là, ce qui a changé c’est la peur de vivre, ou du moins de vivre pour pas grand chose, presque pour rien, de façon inutile et pour soi et pour les autres.
Qu’est-ce qui pourrait vraiment inciter à accélérer la vitesse de l’œil ? Peut être pas à 200 images secondes, il faudrait un matériel génétique dont nous ne disposons pas.
L’avidité de voir ? Et n’est ce pas un peu ce qui se passe en ce moment ? Cette civilisation de l’image ? On est en plein dedans non ?
Nous pouvons encore voir l’intérieur d’un lieu, d’un appartement comme autrefois nous les décrivaient Balzac ou Flaubert, ce n’est déjà plus la même chose tout à fait dans Joyce, chez Duras, la description disparaît presque, se réduisant au minimum chez Carver.
Et puis tous les outils à notre disposition, appareil photographique, avec toutes leur kyrielle d’optiques du zoom au grand angle…et désormais la caméra, la vidéo, le rythme des images semble s’accélérer de façon frénétique…
Et donc désormais comment m’y prendrais je par exemple pour revisiter un lieu, en rendre compte au travers de l’écriture uniquement ? Bien sûr je pourrais encore utiliser la manière balzacienne çà ne choquerait pas beaucoup, on trouverait seulement ça classique.
Mais si je voulais rendre compte d’une façon de regarde un lieu de façon plus actuelle que se passerait il alors ?
C’est l’exercice du jour.
Comment je vois ça ?
Peut-être en deux temps, d’abord comme je le ferais déjà naturellement. Puis en m’interrogeant sur le décalage que je pourrais alors constater entre ce naturellement et ce que je vis, vois moi actuellement.
Peut-être que ma vision d’enfant est encore balzacienne, flaubertienne et que l’homme que je suis est aveuglé en quelque sorte par ce point de vue ancien et qui perdure. Sans doute pour ça que j’ai lu et relu Carver.
Essayons.
Avenue des piliers plantée de part et d’autre de peupliers, à la Varenne Chenneviere, trois petites marches une porte, lourde, un bref couloir, 4 pas et tout de suite la porte droite, Musti/Antipine, deux noms, celui de ma grand-mère estonienne et de mon beau grand père russe. Frappe avant d’entrer mais pas la peine la porte s’ouvre ils nous ont vu arriver par la fenêtre. Retour dans la rue, oui il y bien une fenêtre qui donne sur la rue et les peupliers. Si je reviens vite à l’intérieur je peux vous dire ce que je vois par cette fenêtre : des arbres dont je connais le nom et qui se font appeler peupliers et des maisons plutôt chics avec des jardins, des portails. Pas du côté de la rue où je suis, c’est plus mitigé, immeubles avec cour en ciment, et maison ouvrières.
L’odeur tout de suite vous happe, dès l’entrée, dans le couloir même si je n’en ai pas parlé, une odeur d’oignons et d’ail frits, ils savaient que nous viendrions alors Vania prépare ses pirojkis. Déjà juste un pas en avant, l’odeur et la salive. Rapide coup d’œil pour se repérer, voir si tout est comme d’habitude. C’est toujours le désordre, à droite sur le lit cosy non. Un ancien capitaine du Tsar combat le désordre. Les livres sont alignés au cordeau sur l’étagère, pas un seul grain de poussière. J’ai faim mon attention se déporte sur l’entrée de la petite cuisine , il les a déjà mis à frire, peut être va t’il bondir, aller chercher le plat… je peux déjà sentir le poids d’un de ces petits pâtés dans la main.
Et l’icône soudain me revient oui elle est toujours accrochée au chevet du lit ou vania dort seul. le long cou le beau visage et ses yeux à demi clos bien tristes. Ils font chambre à part Vania et Valentine, je le saurais plus tard, pour l’instant je ne sais rien je ne comprends rien. Clignement d’œil puis zoom sur l’emblème peinte sur bois, tête de mort et poignards croisés, emblème des troupes du général Kornilov, trop jeune pour savoir encore, pour comprendre. Elle me fascine cette image encore. Je me retrouve projeté quelque part, un grand lac, des chevaux qui galopent, et la surface se dérobe sous leurs sabots, ils disparaissent chevaux et cavaliers, trente survivants en tout et pour tout. Vania et ses fameux pirojkis.
Revoir le même appartement ce sont des couches et des couches qui se superposent comme dans un film à l’accéléré, les objets bougent et fabriquent le fameux désordre, Vania torse nu tente de combattre mais en vain, des bataillons entiers de cravates le submergent. Et Valentine avec sa voix de fumeuse invétérée dit quelque chose, mais la bande son est hachurée, ou bien se mixe à d’autres mots le tout devient incompréhensible
Buffet Henri 4 on n’y échappera pas, c’est la qu’est rangée toute la vaisselle du dimanche. j’admire l’ouvrage , pareil, un beau désordre le goût, on aime on n’aime plus on aime à nouveau, avec par ci par la quelques pauses, des moments d’indifférence, une absence inopinée d’avis sur la question. Un style comme un autre Henri 4. D’ailleurs l’oncle Henri s’est réveillé il est dans l’encadrure de la porte de la cuisine, sa stature de colosse me bouche la vue sur la friteuse, quand donc va t’on passer au pirojkis?
Les adultes parlent, je photographie les lieux, à la louche sans m’appesantir : fleurs artificielles posées dans un vase, sur un napperon de fausse dentelle, lui même recouvre une partie de la table ronde devant la fenêtre. Des voitures passent, des passants passent, les cravates sont éparpillées un peu partout, l’emblème de Kornilov est mangée par l’ombre mais personne ne pense à allumer la lumière. Ça parle, plaisante, rit, je passe dans la salle à manger qui est aussi la chambre de Valentine. La machine à coudre faut-il préciser Singer ou dire tout simplement la Singère est sur la table, bref tout ça sur une petite table devant une autre fenêtre. L’odeur de disque bleue prégnante, un mégot qui fume encore dans un cendrier Cinzano, un peu plus loin une grosse télé dans laquelle on doit mettre des pièces pour la mettre en route. On ne l’allume jamais mais elle est là. Un canapé lit replié et des cravates posées dessus, des cravates partout, si bien qu’à la fin je sens quelque chose qui m’étrangle… peut-être les pirojkis que j’ai avalés beaucoup trop vite, je ne suis qu’un enfant qui ne comprend rien à rien. La mouche du coche m’a t’on dit déjà plusieurs fois.
On verra demain matin pour reprendre tout ça, peut-être ou pas.
Essayer autrement avec des ralentis, des silences. Des accélérations, comme je vois la vie d’aujourd’hui.
Essayer plusieurs fois, refaire
Un exercice ça n’a pas besoin d’être une œuvre comme je le dis à mes élèves pour la peinture. un exercice ouvre la porte à d’autres exercices et peut-être qu’au final à force d’exercices.. mais chaque chose en son temps.
Je crois que je détesterai voir derrière moi….
En tout cas moi j’y étais vraiment dans cet appartement….
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🙂 oui mais c’est la peur, l’attrait comme la répulsion qui créent en grande partie le fameux moi…
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J’ai même senti les odeurs.
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🙂 tu devais avoir faim
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